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me paraissent-elles destinées à recueillir l’héritage de la philosophie. Si la philosophie ne veut pas rester une toile de Pénélope, sans cesse et toujours vainement recommencée, il faut qu’elle devienne savante. Chaque branche des connaissances humaines a ses résultats spéciaux qu’elle apporte en tribut à la science universelle. Les principes généraux, qui seuls ont une valeur philosophique, ne sont possibles qu’au moyen de la recherche érudite des détails. La tentative de construire la théorie des choses par le jeu des formules vides de l’esprit est une prétention aussi vaine que celle du tisserand qui voudrait produire de la toile en faisant aller sa navette sans y mettre du fil.

Les sciences historiques surtout me paraissent appelées à remplacer la philosophie abstraite de l’école dans la solution des problèmes qui de nos jours préoccupent le plus vivement l’esprit humain. Sans prétendre refuser à l’homme la faculté de dépasser par son intuition le champ de la connaissance expérimentale, il faut reconnaître, ce semble, qu’il n’y a réellement pour lui que deux ordres de sciences, les sciences de la nature et les sciences de l’humanité : tout ce qui est au-delà se sent, s’aperçoit, se révèle, mais ne se démontre point. Le grand problème de ce siècle, ce n’est ni Dieu, ni la nature ; c’est l’humanité. Or les vraies sciences de l’humanité sont les sciences historiques et philologiques. L’ancienne psychologie, envisageant l’individu d’une manière isolée, faisait une œuvre utile sans doute, et qui a amené de solides résultats ; mais notre siècle a bien vu qu’au-delà de l’individu il y a l’espèce, qui a sa marche, ses lois, sa science, science autrement féconde et attrayante que celle des rouages intérieurs de l’âme humaine, science qui est destinée à devenir l’objet principal des méditations du penseur, mais qui, dans l’énorme confusion où le passé nous est parvenu, ne peut se construire qu’au moyen des plus patiens labeurs. La politique étudie l’espèce humaine pour la gouverner ; l’économie politique l’étudie pour l’administrer : la science dont nous parlons étudie l’humanité comme la plus grande réalité qui soit accessible à l’expérience, pour suivre les lois de son mouvement et déterminer, s’il se peut, son origine et sa destinée. L’histoire, je veux dire l’histoire de l’esprit humain, est en ce sens la vraie philosophie de notre temps. Toute question de nos jours dégénère forcément en un débat historique ; toute exposition de principes devient un cours d’histoire. Chacun de nous n’est ce qu’il est que par son système en histoire.

En général, l’idée d’une science indépendante, supérieure, ou, si l’on veut, étrangère à la politique, n’est pas le fait de la génération à laquelle appartient M. Cousin. Il ne peut entrer dans la pensée de personne de blâmer une tendance qui a produit de si brillans résultats. Et d’un autre côté comment ne pas trouver quelques