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ne connais qu’un seul travers d’esprit, celui de se croire athée ? Ah ! que les prières basses et presque toujours intéressées de l’homme vulgaire sont un moindre hommage à la Divinité que cette réserve exagérée qui retient parfois sur les lèvres du savant scrupuleux le mot que tant d’autres profanent par l’hypocrisie et la légèreté !

Faut-il reprocher à M. Cousin de n’avoir pas toujours tenu compte de ces délicates nuances ? Non certes. Aspirant à philosopher pour un grand nombre, il dut chercher moins à raffiner ses formules qu’à les rendre claires et capables d’être acceptées. Dans les dogmes religieux et philosophiques, la forme est toujours relative, le fond seul est vrai ; mais la forme est loin d’être indifférente. L’humanité, qui, dans son ensemble, est incapable de délicatesse critique, ne voit jamais sans inquiétude ruiner les symboles qu’elle a longtemps acceptés. Comme le patriarche antique, quand elle a perdu ses idoles, elle s’écrie : « J’ai perdu mes dieux ! » Le devoir de la science, d’un autre côté, est de rechercher des formules de plus en plus rapprochées du vrai. De là une contradiction qui ne cessera qu’avec l’esprit humain. Tous les partis pris sont légitimes quand ils sont sérieux et honnêtes. La plus grave erreur de la critique est de reprocher aux hommes de génie de n’avoir pas été autres qu’ils ne furent. M. Cousin atteignit son but, qui était, non de créer une doctrine originale, mais de donner une forme éloquente et en un sens populaire aux grandes vérités de l’ordre moral. Je vais montrer que tout ce que des juges malveillans seraient tentés d’appeler ses défauts fut la conséquence de ce grand parti pris. Du moment qu’on admet que le dessein était noble et élevé, les défauts qui en étaient la condition sont absous d’avance, et il n’en est pas un seul dont on ne puisse dire ce que l’église dit de la faute originelle : Félix culpa !


II

Au premier coup d’œil, on ne peut nier que la direction générale de la carrière de M. Cousin ne s’éloigne fort de ce que l’exemple des philosophes du passé nous ferait envisager comme l’idéal d’une vie toute dévouée à la pensée. Quand Descartes, du fond de son poêle de Hollande, aussi seul, comme il le dit lui-même, au sein d’une grande ville qu’au milieu d’une forêt dont les arbres marcheraient, méditait sur le point de départ de toute connaissance et sur les lois de l’univers ; quand l’ascète de la philosophie moderne, celui que M. Cousin a si bien comparé à l’auteur inconnu de l’Imitation de Jésus-Christ, quand Spinoza, dans son pauvre réduit, en polissant ses verres de lunettes, se mirait, pour me servir de