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miracle, non cette liberté qui, laissant à tous le droit de tout dire, n’est favorable qu’à la médiocrité, mais cette liberté régulière, également éloignée de la licence, qui dégénère en tumulte, et de la compression, qui ne veut autour d’elle que le désert.

C’est à l’avenir qu’il faut laisser le soin d’assigner à chacun des hommes qui prirent part à ce mouvement glorieux son rôle distinct ; mais il est permis de dire dès à présent que nul n’y contribua plus que M. Cousin, que nul n’y porta une spontanéité plus vive, plus décidée, plus sûre d’elle-même. Son originalité est bien plus dans son caractère personnel.que dans son œuvre. En philosophie, M. Cousin n’a jamais voulu être créateur ; plusieurs fois il s’est fait gloire de n’avoir rien inventé en ce genre, croyant trouver en cela même le signe de la bonne philosophie. En fait de style, il avait trop bon goût pour ne pas voir que les habiles écrivains n’ont jamais besoin d’innover, et qu’on peut tout dire avec une vieille langue sans lui faire violence. En fait d’érudition et de philologie, il n’a jamais prétendu, malgré des services réels, au rang de maître. Ce qui lui appartient, c’est l’esprit de tout cela, c’est sa passion pour le beau et le grand, l’auréole dont il entoure ce qu’il aime, l’éclat, la vie, la lumière dont chaque chose se revêt sous sa main. Voilà ce qui donne tant de charme à ce volume, reste d’un monde si loin de nous. On y sent à chaque page l’ambroisie divine d’une jeunesse favorisée par le temps, et la sérénité d’une époque où l’espérance, la liberté, l’influence secrète d’une vieille dynastie répandaient sur toute chose le doux et.chaud rayon d’un soleil de printemps.

Le XVIIIe siècle et ses continuateurs au commencement du XIXe avec tant de précieuses qualités, avaient le tort de mêler aux plus bienfaisantes doctrines une sorte de platitude systématique ; l’épicuréisme, moins la poésie de Lucrèce, fut le ton général des philosophes de ce temps. Ils prêchaient le vrai spiritualisme, l’humanité, la pitié, l’équité sociale, et ils trouvaient bon de se dire matérialistes, de nier dans les termes l’idée dont ils fondaient la réalité. Ils prêchaient le Dieu véritable, celui qu’on sert par la justice et la droiture, et ils se disaient athées. Ils prêchaient l’idéalisme par excellence, la sainteté du droit, la prééminence de l’esprit, et ils niaient l’idée, ils réduisaient tout aux sens. Apôtres et croisés à leur manière, ils traitaient de fanatiques et d’insensés ceux qui avaient fait pour une autre opinion ce qu’ils faisaient pour la leur. Les premières connaissances de physiologie et de cosmologie scientifiques produisirent ce résultat. On vit le jeu des organes, et on crut avoir expliqué tout l’homme ; on vit les atomes et les lois qui président à leurs mouvemens, et on crut avoir expliqué l’univers. L’âme seule