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rues tortueuses, brusquement closes par une impasse, ou s’enfonçant sous une voûte obscure; dédale de ruelles bruyantes et animées au-dessus duquel se dresse le minaret de la mosquée, comme la fleur étoilée au-dessus du bouquet de feuilles ternes et sombres. Dans ces quartiers populeux, chaque industrie a sa place à part. Ici l’armurier forge la lame du yatagan; là le tailleur couvre de broderies d’or et d’argent la veste aux vives couleurs qui ornera le dos d’un élégant Maugrebin. Plus loin, le sellier assemble sur le velours l’or, l’argent et la soie qui rehaussent l’éclat de ces harnais splendides, la gloire des cavaliers turcs. N’oublions pas non plus les tissus variés, depuis l’humble burnous en poil de chameau jusqu’au tapis de soie, tous bariolés comme la peau du tigre d’Asie ou étincelans comme le plumage du colibri. Et pourtant on n’entend point là le vacarme qui retentit dans nos grandes cités. A travers ces rues marchandes ne circulent ni les voitures rapides, ni les lourds chariots; l’àne y trotte de son pas régulier sur la poussière qui en atténue le bruit, et le chameau y pose solennellement ses larges pieds plats qui ne réveillent pas même le marchand de dattes endormi sur le devant de son échoppe.

Ce repos des villes orientales a bien son charme. Au milieu du travail et de l’activité, on aime ce silence qui porte à la rêverie. Il semble que l’homme se fatigue moins dans l’exercice de sa profession lorsqu’il accomplit gravement sa tâche, et il y a plus de dignité dans le travailleur qui ne se hâte jamais. Chez les peuples occidentaux et de race japétique se trahit en toute occasion une agitation fébrile, un instinct de mouvement et d’expansion que rien ne rebute. C’est que notre rôle est d’agir sur tous ceux qui nous entourent de près et de loin. Les peuples du Levant, moins préoccupés du reste du monde, préfèrent se sentir vivre, estimant que l’avenir ne doit pas faire oublier le présent. Le respect qu’ils ont pour la personne et pour le souvenir de leurs pères et de leurs aïeux les rend aussi moins oublieux du passé et moins dédaigneux pour les choses anciennes. La routine est encore chez eux l’une des formes de la confiance en Dieu. Cependant l’ignorance absolue leur paraît digne de mépris. On sait combien les Orientaux attachent de prix à une belle écriture, — talent précieux dans les pays où l’imprimerie a été si longtemps inconnue, — et l’influence qu’exerce sur les populations musulmanes quiconque porte le titre de savant. A Tunis, sur une population de cent soixante mille habitans, on ne compte pas moins de soixante-dix écoles primaires, dirigées par des tolbas enseignant aux enfans à lire, à écrire, et à réciter quelques sourates du Koran.

Parmi les anciennes coutumes de l’Orient que le temps n’a pas abolies, la plus touchante est l’accueil cordial fait à l’étranger. Dans les douars arabes, on le sait, l’étranger s’appelle l’hôte de Dieu! Les Maures qui habitent les villages de l’intérieur de la régence ne montrent pas moins d’empressement à recevoir le voyageur que le hasard leur envoie. Leur zèle va si loin, qu’il s’ensuit des contestations et même des rixes sanglantes. Que fait alors le malencontreux étranger cause de tout ce tumulte? Il promet aux vaincus de loger chez eux à son prochain voyage, et suit comme un captif le vainqueur, qui l’héberge avec d’autant plus d’abondance qu’il a eu plus de peine à s’assurer de sa personne. Sans doute l’amour-propre entre pour quelque chose dans cet empressement extraordinaire à posséder sous son toit l’étranger;