Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et annonçant d’un ton de rassurante ironie au vice-roi Yeh l’arrivée de quelques pauvres diables de soldats européens portant un costume fort laid et visiblement « fort peu accoutumés au maniement des armes. » On a fait une découverte bien plus précieuse encore, s’il est vrai qu’on ait trouvé l’exemplaire original du traité signé autrefois avec la France, exemplaire qui n’aurait jamais été envoyé à Pékin, la chose n’ayant pas assez d’importance, à ce qui a été dit : preuve singulière du prix que les hauts fonctionnaires du Céleste-Empire attachent aux engagemens internationaux! Le vice-roi Yeh s’était rendu, il y a quelque temps, à Pékin, d’après ce qu’on assure, et il avait été comblé de témoignages de confiance de son maître impérial aussi bien que de félicitations au sujet de ses victoires sur les barbares. S’il avait aujourd’hui à rendre compte au céleste empereur des événemens qui viennent d’avoir lieu, il trouverait certainement le moyen de lui dire qu’il a battu une fois de plus les barbares, et qu’il est présentement maître de la flotte alliée. Malheureusement ce n’est point Yeh qui annoncera au fils du ciel la prise de Canton. Si le vice-roi est à bord de la flotte alliée, il y est comme prisonnier, et l’attitude de ce personnage est même un des côtés curieux de cette aventure. Dans le premier moment, lorsqu’il a été pris, Yeh a eu visiblement une tenue assez peu héroïque. Quand il s’est senti un peu rassuré, il a repris son arrogance; il a joué son rôle avec cet art que les Chinois poussent au suprême degré, se montrant tout disposé à donner audience aux plénipotentiaires de l’Angleterre et de la France, réclamant les archives afin de pouvoir continuer à gouverner, et ne refusant pas au besoin d’aller inspecter les vaisseaux alliés.

Deux autres fonctionnaires importans, le gouverneur de Canton et le général en chef tartare, ont été pris également, et n’ont pas laissé voir beaucoup plus d’héroïsme. Les alliés ont songé à se servir de ceux-ci au lieu de les retenir simplement prisonniers, et ils les ont placés à la tête d’une administration nouvelle, sous la surveillance de commissaires français et anglais. L’installation s’est faite solennellement dans l’enceinte de la ville de Canton. Les plénipotentiaires et les amiraux alliés se sont rendus au palais au bruit de l’artillerie; le gouverneur Pehkwe, le héros principal de la cérémonie, est arrivé de son côté, et tout se serait bien passé, si durant l’entrevue Pehkwe, pour relever son importance sans doute, n’avait assaisonné cette scène d’un détail tout chinois : il a essayé de substituer aux sièges occupés par les amiraux des sièges moins beaux que celui qu’il occupait lui-même. Après tout, Pehkwe s’est résigné, d’autant plus aisément peut-être qu’il était en rivalité avec le vice-roi Yeh, sur lequel il s’est hâté de rejeter la responsabilité de la guerre. Le nouveau gouverneur s’est établi au palais, où on lui a donné une garde d’honneur, composée de troupes alliées, et tout se fait aujourd’hui à Canton au nom de la France et de l’Angleterre. Quant à la population chinoise elle-même, on se demande peut-être quelle a été son attitude : elle s’est montrée vraiment assez philosophe durant tous ces événemens. Elle a vu ses mandarins pris et sa ville occupée sans paraître s’émouvoir beaucoup, surtout sans manifester cette indignation dont on menaçait sans cesse les étrangers qui demandaient à franchir l’enceinte réservée. Les marchands chinois se sont mis à la suite de nos colonnes pour débiter leurs marchandises, et lorsqu’il a fallu transporter sur la flotte le