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cord avec toutes les manifestations des membres du gouvernement britannique, de même que, des deux côtés du détroit, tous les esprits sensés et prévoyans se rencontrent, par des raisons différentes peut-être, dans cette pensée d’une entente nécessaire et invariable. Un ministre anglais, parlant récemment de la nécessité de cette alliance, en donnait une raison supérieure. Autrefois les rivalités de l’Angleterre et de la France pouvaient jusqu’à un certain point tourner au profit de la civilisation; aujourd’hui les dissensions des deux pays sont une cause de faiblesse pour cette civilisation, devenue un bien commun. Elles menacent l’Europe, tous les intérêts, le développement régulier de l’Occident, et toutes les fois que les relations des deux grands peuples sont menacées, une vague inquiétude s’élève comme en présence d’un danger mystérieux.

La France et l’Angleterre peuvent se diviser sur des points exceptionnels ou secondaires, elles se trouvent naturellement unies dès qu’un intérêt supérieur est en jeu, et certes il reste encore assez de grandes choses à faire dans le monde. Il y a mieux : n’est-il pas des questions que toutes les puissances, quelles que soient les diversités de leur politique, doivent envisager du même œil ? Lorsque la dernière guerre s’est terminée et que la paix, en raffermissant l’ordre européen, est venue créer une situation nouvelle, tout n’était point fini, même en ne considérant que l’état de l’Orient, première cause du conflit. Tout n’est point fini encore maintenant, puisque l’Europe en est toujours à statuer sur la réorganisation définitive des principautés, affranchies par la guerre d’un protectorat onéreux, — sur le règlement de la navigation du Danube au profit du commerce universel. Ces dernières affaires ont soulevé des discussions, des polémiques, presque des conflits entre les cabinets, et cependant elles n’égalent pas en intérêt une autre question qui a fait moins de bruit, mais qui touche de plus près au développement moral de la civilisation : il s’agit des réformes stipulées par l’Europe en faveur des populations chrétiennes de l’Orient. Si la nécessité de ces réformes avait pu être un instant oubliée, elle se révélerait de nouveau d’une façon saisissante dans tous ces troubles qui remplissent aujourd’hui les provinces occidentales de l’empire ottoman. Depuis quelque temps en effet, ces troubles se sont progressivement aggravés. Dans l’Herzégovine, les rayas se sont soulevés, une insurrection véritable s’est organisée, et a fini par prendre quelque consistance. Des combats ont été livrés, des villes ont été prises, et les scènes sanglantes se succèdent. Dans la Bosnie, où les chrétiens ne souffrent pas moins, la même agitation règne, quoi qu’elle ne se soit pas traduite en faits insurrectionnels aussi palpables. L’Albanie suit le mouvement. De plus, des conflits incessans éclatent sur la frontière du Monténégro, ou plutôt sur cette ligne indécise qui est censée séparer le Monténégro des provinces voisines, car de frontière véritable, il n’y en a pas, et les invasions à main armée répondent aux invasions.

Ainsi voilà toute une partie de la Turquie, la plus occidentale, la plus rapprochée du centre de l’Europe, qui est livrée aux luttes sanglantes, à la dévastation, à la misère. Or, en laissant de côté les difficultés dérivant de la situation spéciale du Monténégro, quel est le caractère de ces mouvemens dont l’Herzégovine semble le foyer principal, et qui menacent d’envahir la