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tombeau ne seront point des paroles menteuses. Mes souffrances sont, je l’espère, de celles que l’on quitte avec ce monde.

Alors, en termes pleins de grâce et d’abandon, il se mit à parler des dernières épreuves de sa vie. Loin d’accuser sa femme, ce fut lui seul qu’il accusa. Il énuméra l’une après l’autre toutes les fautes qu’il avait fatalement commises à l’endroit d’une créature qui ne pouvait pas avoir en elle les trésors d’intelligence et de miséricorde dont il aurait eu besoin. — Et pourtant, dit-il en finissant, je ne suis pas tout à fait sûr que le bonheur m’eût été impossible. La femme qui aurait su répandre un baume sur toutes mes blessures existe peut-être; qui sait si je ne la trouverai pas là où je vais? — Là-dessus il sourit, comme il souriait parfois, de ce sourire dont il me semble que j’ai déjà parlé. — Dans mon amour pour l’élément féminin, je crois, dit-il, que je tourne au musulman, et que je vais croire à des houris. Je veux mourir en chrétien.

M. de Mestin lui dit ce que l’on répète éternellement aux mourans quand ils vous parlent de leur fin. — Mais vous ne mourrez pas encore. Dieu vous conservera pour tant de gens qui vous aiment.

— Dieu ne vous entende pas! répondit-il. J’ai eu vers la mort autrefois les aspirations vaguement poétiques qu’elle inspire, je crois, à toutes les natures élevées. Aujourd’hui je la désire simplement et sincèrement. Ceux qui m’aiment! dites-vous? — Et il sourit de nouveau, puis il se tut... Évidemment il craignait de répondre par une parole sceptique à une marque d’affection. J’ai connu peu d’âmes plus vraiment douces que la sienne. — Ceux qui m’aiment, répéta-t-il encore après un moment de silence... eh bien! ceux-là me rejoindront, mon ami, je l’espère; nous nous reverrons.

Le reverrons-nous en effet? Celui à qui furent adressés ces mots ne l’a pas revu. Le lit dressé pour lui dans les ténèbres (je prends à la Bible ses expressions) le reçut quelques jours après cet entretien. Depuis qu’il n’est plus, on a dit sur lui nombre de paroles déjà plus glacées que sa dépouille. Ce que nous avons dit à notre tour retiendra peut-être plus longtemps un peu de chaleur, car ce que nous avons recueilli est le sang des plaies dont il est mort. Nous avons dit le secret de sa vie; Dieu le sait, et elles aussi le savent, celles qui furent toujours entre lui et la gloire, entre le ciel et lui.


PAUL DE MOLENES.