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VIII.

J’ai traité Giuli comme il se traitait lui-même. Je ne me suis occupé que de son âme. Son corps souffrait. Sa nature matérielle, ainsi que sa nature morale, était une véritable exception. Rien de plus fragile en apparence que la pâle et délicate enveloppe où vacillait la flamme ardente de sa vie, et cependant nul ne supporta mieux que lui toutes ces fatigues, toutes ces misères qui triomphent des plus vigoureuses organisations. Ce fut un soldat aussi robuste qu’intrépide. Le seul glaive qui pût le frapper mortellement, c’était cette épée invisible qui sut se frayer un passage même à travers la poitrine d’un Dieu. Comme tant d’autres glorieuses victimes, il devait succomber sous le faix des choses humaines. Après le départ de sa femme, sa santé s’altéra visiblement. Au lieu de combattre l’œuvre de la destruction, il prit plaisir à la hâter. Il répudia l’un après l’autre chacun des exercices violens qui lui étaient nécessaires et familiers. Il passait ses journées au fond d’un fauteuil, un cigare ou une chibouque entre les lèvres, mettant entre lui et les choses extérieures le voile de la fumée.

Quelques semaines avant sa mort, un homme qui l’aimait tendrement, qui avait peut-être quelques-unes de ses qualités et à coup sûr nombre de ses défauts, s’imagina un soir d’aller lui rendre visite. Je ne dirai pas le vrai nom de ce personnage, qui craint singulièrement d’être mis en scène. Je le nommerai, si vous voulez, M. de Mestin. Ainsi s’appelait quelqu’un qui fut emporté il y a trois ans par un boulet, et qui n’eût pas craint de prêter son nom à celui que je fais paraître un moment dans ce récit. M. de Mestin se rendit donc un soir chez Giuli; il le trouva seul, au coin du feu, dans sa chambre à coucher, occupé à modeler une figure en terre, car j’ai oublié de dire que Cosme était un peu sculpteur. Comme ces grands artistes qui furent au XVIe siècle la gloire de sa patrie, rien ne lui était étranger de ce qui fait l’honneur et l’ornement de ce monde. La figure qu’il modelait, c’était la sienne. Il n’est point de Giuli qui n’ait son effigie en marbre sur son tombeau. Il se conformait à l’usage de ses ancêtres, et faisait d’avance le modèle sur lequel des mains étrangères devaient travailler.

Il montra à M. de Mestin cette œuvre mélancolique. Sur le sépulcre même qui devait servir de socle à sa statue, il avait gravé ce verset du livre de Job : « Mes jours sont passés, les pensées qui faisaient le tourment de mon cœur sont dissipées. »

— Mon ami, dit-il à son visiteur, j’espère que ces paroles de mon