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mum de durée ; en un mot, donner à chacun l’expérience de tous, telle fut cette idée première, si simple, je le répète, que bien des personnes ne seront frappées que des mérites de l’application. Ajoutons qu’en pareil cas l’exécution est tout, et du reste l’on peut juger de la patiente sagacité, de la pénétration nécessaires pour faire jaillir la lumière de cet amas de faits confus et sans ordre, par le petit nombre d’esprits d’élite qui réussissent dans ces tâches exceptionnelles. On verra tout à l’heure quels furent les admirables résultats de cette heureuse idée ; montrons d’abord Maury à l’œuvre.

Simple officier d’une marine dans laquelle l’ancienneté seule détermine l’avancement, les premières années de sa carrière n’avaient assez naturellement été signalées par aucun événement remarquable[1]. Pourtant dès lors on pouvait voir poindre chez lui l’esprit d’observation qui devait un jour porter de si magnifiques fruits ; c’est ainsi qu’en 1831, doublant le cap Horn sur le Falmouth, dans le grade modeste de passed midshipman, les curieux phénomènes barométriques de ces parages lui avaient fourni la matière d’un mémoire extrêmement intéressant que publia dans son xxvie volume l’American Journal of arts and sciences. Quelques années plus tard, une chute, dont les suites le forcèrent à renoncer à la vie de bord, lui créa des loisirs que n’eût pas comportés une navigation active, et peut-être est-ce à cette circonstance que nous sommes redevables de l’œuvre à laquelle il a attaché son nom. Quoi qu’il en soit, comme rien dans ses ouvrages n’autorise même une conjecture sur l’époque à laquelle a commencé à germer en lui l’idée mère de l’entreprise, comme en même temps jamais auteur n’a plus soigneusement effacé de ses écrits toute trace de personnalité, nous ne prendrons Maury qu’à ses débuts officiels dans sa nouvelle voie.

Sa première démarche auprès du gouvernement des États-Unis remonte à 1842. Le résultat fut une circulaire adressée par le commodore Crane, chef du bureau hydrographique, aux capitaines américains, pour obtenir d’eux la communication des renseignemens nécessaires à la construction des cartes de vents et de courans projetées. Ce premier appel resta sans réponse, on pouvait s’y attendre ; mais, loin de se décourager, Maury s’adressa aux principaux savans et aux diverses institutions scientifiques du pays, ne négligea rien pour s’assurer leur appui, pour les faire entrer dans ses vues ; puis, à défaut du concours de la marine marchande, il se mit à réunir les journaux, en nombre malheureusement trop restreint, que pouvaient lui offrir les navires de guerre. Aussi en 1845 se crut-il à la tête d’une quantité de matériaux suffisante pour reprendre sur de nou-

  1. Maury est Virginien, et nous citons ce fait, en apparence insignifiant, parce que les Américains ont remarqué que l’état de Virginie avait donné naissance à la plupart de leurs hommes supérieurs.