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stance, elle ne sait pas que j’en suis l’enveloppe, mais que cette passion, comme tant d’autres, est à jamais morte dans mon cœur. J’espère que je pourrai la détromper, et je continue mon manège. La valse finie, elle regagne sa place, je reste où je suis. Juliette ce soir repousse obstinément tous les danseurs. Amicie, en dansant de nouveau, me retrouve auprès d’elle. Cette fois elle ne me regarde plus, elle semble prendre plaisir à la danse. C’est un petit drame qui se complète. Aux reproches a succédé le silence, ce sombre dénoûment de toutes choses. Décidément j’abandonne Juliette; aussitôt la contredanse finie, je vais trouver Amicie, et je lui demande si elle veut partir. Pour la première fois, elle me répond qu’elle s’amuse au bal; puis au bout de quelques instans c’est elle qui se lève et me donne le signal du départ. Tout a tourné contre moi dans l’explication que j’ai provoquée à notre retour. Elle était sérieusement froissée. A tout ce que j’ai pu lui dire elle a répondu d’une manière désespérante, par quelques mots toujours les mêmes, signes certains d’une mauvaise pensée qui s’est établie dans sa cervelle et que je n’en pourrai pas déloger. Elle me répète cette maudite phrase de roman : « L’amour, c’est la foi, et je sens que ma foi est ébranlée. » Un peu de lassitude, un peu de dépit et beaucoup de tristesse m’envahissent. En traversant un salon qui précède ma chambre, je m’aperçois par hasard dans une glace : les glaces ont toujours exercé sur moi un genre d’attraction fort étranger assurément à celui qu’elles ont pour les jolies femmes; je contemple avec une sorte de curiosité mêlée de terreur ces tableaux magiques où l’on voit le personnage par excellence mystérieux et inconnu pour chacun de nous, c’est-à-dire où l’on se voit soi-même. Je remarque au milieu de mon front une grande ride qui est d’un aspect assez chagrin. Je ne la croyais pas si profonde. Cette ride-là, Giuli, c’est le véritable abîme qui existe entre toi et le seul bonheur dont tu te sois jamais soucié. »

A partir du moment où il écrivit ces lignes, Cosme cessa d’être dans la lumière de la lune de miel : il n’aperçut plus que par instans cette riante et sereine clarté. Amicie devint une femme que, malgré toute la sagacité de son esprit et l’expérience de son cœur, il avait à peine soupçonnée. Elle mettait autant d’ardeur à rechercher les plaisirs extérieurs qu’elle en avait mis jadis à les éviter. Cette solitude à deux, où Giuli trouvait tant de bonheur à s’ensevelir, l’ennuyait. Elle n’avait plus pour les paroles de son mari la divine repartie d’un serrement de main, d’un baiser, ou d’un regard doux et profond. Giuli crut pouvoir la ramener par des élans surhumains de tendresse. Il se trompa : ces élans passionnés étaient encore des fautes. Un jour, après des heures pleines de trouble, où les dou-