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Il y avait peu de monde chez Mme de Tenais. La duchesse, à sa grande joie, put établir une conversation générale. On parla d’un roman et d’un livre théologique. Renée eut une manière ravissante de juger en même temps le livre sacré et le livre profane. — Pourquoi le ciel, s’écria-t-elle, n’a-t-il pas donné à l’auteur du roman la passion du théologien? C’est le livre saint qui est la coupe pleine d’ivresse! — Et la voilà qui sur ce vieux thème de l’amour mystique improvise mille variations. Giuli suivait l’une après l’autre toutes ces agiles et savantes mélodies, résurrection pour lui de tout un passé. Il voulait garder le silence; malgré lui, il prit part à la conversation et s’anima. Ces propos brillans et légers de Renée, c’étaient pour Cosme les Willis de la ballade. Il oubliait, pour danser avec les sorciers, sa fiancée, mieux que sa fiancée, sa femme, qui le regardait d’un air pensif, car Amicie appartenait encore à cette classe d’êtres et à cette époque de la vie où l’on a pour les jeux intellectuels une sorte de sombre moquerie, d’hostilité farouche. Elle contemplait du haut de sa jeunesse et de sa beauté des ébats auxquels elle se dépilait de ne pas prendre part. Elle se promettait quelque mot vengeur sur la comtesse de Matte, quand elle serait seule avec son mari.

Cosme surprit un de ses regards chargés de songerie malveillante, au moment même où il jouissait d’une repartie de Renée qui venait de mettre en relief une de ses paroles. Il avait à coup sûr l’âme trop élevée pour être sensible à des triomphes de salon, mais il avait aussi une nature trop fine pour repousser toute une espèce délicate de plaisirs. Ce n’était pas la marquise de Giuli qui pouvait lui donner cette joie d’un sourire pénétrant dans les plus secrètes parties de votre pensée pour y répandre la lumière et la chaleur; trop de choses étaient inconnues à cette âme nouvellement épanouie. Ce n’était pas elle qui pouvait lui apporter cette aide charmante, cet appui ingénieux que certaines femmes savent prêter à l’homme qu’elles aiment et dont elles sont fières. Quand elle fut seule en voiture avec Cosme en sortant de chez Mme de Tenais, Amicie, pour la première fois depuis son mariage, le trouva muet et rêveur. Elle-même, préoccupée, jalouse, cherchait silencieusement dans son esprit quelque parole amère. C’était ainsi qu’ils regagnaient leur logis; mais la réflexion chez Giuli avait un caractère ardent et mobile. En songeant à la comtesse de Matte, son esprit vint probablement se heurter à quelque pénible souvenir, car tout à coup il jeta sur sa femme un regard où rayonnait le plaisir d’un heureux réveil, il la pressa sur son cœur. — Aimable et cher refuge! s’écria-t-il. — C’étaient-là de malheureuses paroles. Une femme de vingt ans n’aime pas à jouer le rôle de havre pour les vieilles