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n’arrêta pas sur ses traits l’épanouissement d’un sage bonheur. Le monde le trouva charmant, sa femme dut le trouver plus charmant encore, lorsque, seul avec elle, il lui dit, en se mettant à ses genoux : — Amicie, regarde-moi, et vois dans mes yeux tout ce que je n’osais pas y laisser paraître. J’ai joué mon rôle. Le monde ne veut voir jamais que des sentimens mesurés et discrets; mais je vous aime d’un amour sans limites et sans frein que j’espère bien garder toujours. Ce sont les sots qui veulent la raison dans le mariage, toute femme y cherche la passion. Tu l’y trouveras, ma bien-aimée.

Cosme était sincère en parlant ainsi. C’était par excellence une âme amoureuse. Puis, de toute manière, je trouve que son langage était fort opportun. Quoi qu’en ait dit Montaigne, je ne crois pas, pour parler vieux français, que vous preniez le bon moyen d’éviter la male chance en apparaissant toujours à votre femme comme un sénateur sur sa chaise curule. Tâchez de ne point lui faire penser que le mariage est une sorte d’état spécial, tout particulièrement solennel et auguste, qu’elle le considère tout simplement comme une forme heureuse et bénie de l’amour. Seulement ne vous bornez pas à promettre, comme Giuli, une passion sans mesure; promettez aussi, et tâchez de tenir votre promesse, une passion unique. Les âmes jeunes sont exclusives; mais nous voici dans le vif de notre histoire.

Ce fut, à mon sens, en trois soirées que Cosme joua et perdit son bonheur conjugal. Pendant trois mois, il avait mené la vie que désigne ce mot consacré : « la lune de miel. » Amicie, dont il me semble que je n’ai pas encore assez parlé, éprouvait pour lui une affection vive, sincère et pleine de grâce. Je ne sais pas si la marquise de Giuli, qui a encore de longues années à passer dans le monde, aura une de ces renommées qui sont le partage d’un si petit nombre de femmes. A vrai dire, je ne pense pas qu’on ait l’idée de renouveler pour elle, dans quelques siècles d’ici, la cérémonie qu’une ville de province vient de consacrer à Mme de Sévigné; mais on ne peut nier qu’elle n’ait une intelligence bien suffisante pour tous les besoins réels de cette vie. Sans avoir rien de vulgaire assurément, elle n’a pas une originalité extrême. C’est la jeune femme telle que les destinées du mariage la livrent à nombre d’hommes, qui, suivant leur instinct ou leur caprice, leur esprit ou leur sottise, leur bonne ou leur mauvaise chance, en font soit l’esprit bienfaisant, soit le génie brouillon et maudit de leur foyer. Si elle ne comprenait pas dans toute la grandeur de son ensemble, encore moins dans toute l’élégance exquise de ses détails, la nature si puissante et si fine de son mari, cette âme était bien loin d’être pour elle un mystère impénétrable : par maint en-