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III.

M. de Blesmau avait aux environs de Paris une maison qui valait toutes les villas dont Rome, Naples et Florence peuvent être entourées. C’était une sorte de château moderne, frais, pimpant, éclatant de blancheur, apparaissant comme une fée vêtue de gaze entre des corbeilles de fleurs et des bouquets d’arbres. Des eaux transparentes, des gazons épais, toutes les merveilles que fait naître l’accouplement de la nature et du luxe s’étendaient autour de cette habitation. L’amant austère des champs devait souffrir en approchant de ces lieux, mais ce n’était pas lui qu’on y conviait. On ne recevait à Vesprie que des oisifs ou des gens livrés aux occupations tumultueuses. Si par hasard des philosophes ou des poètes y venaient, c’était quand ils voulaient bouder l’étude ou rompre avec la retraite. Jean-Jacques n’y eût pas trouvé même autant de solitude que chez Mme d’Epinay.

Cependant, le jour même où Cosme y débarqua, il n’y avait par hasard que trois personnes, un ancien officier de la garde royale, vieux beau qui avait enlevé la femme de son colonel dans sa jeunesse et vivait sur cette aventure depuis trente ans, puis la marquise de Courgey et sa fille. La marquise était un des débris des légions séraphiques de la restauration; c’était une Elvire attardée sur une rive de lac où le temps n’avait pas suspendu son cours. Sa fille au contraire, — n’eussent été son éducation, ses habitudes, ce qui l’entourait, — aurait rappelé Manon Lescaut. Qu’elle prît un air langoureux ou une expression souriante, qu’elle affectât le geste mutin ou l’attitude rêveuse, Mlle de Courgey était une invitation perpétuelle au voyage peint par Watteau. Que voulez-vous? elle était ainsi, je ne médis ni n’invente. Dans le meilleur et le plus honnête des mondes, on rencontre souvent des jeunes filles comme Mlle de Courgey, et, qui plus est, on les épouse. Quelqu’un s’en trouve bien, et ce quelqu’un-lâ est parfois le mari.

Après un dîner où avaient été prodiguées toutes les ressources de l’art culinaire, les habitans de Vesprie passèrent dans un de ces salons admirablement préparés pour servir de théâtre aux drames du cœur. C’était une vaste pièce, qui n’affectait de rappeler le goût d’aucune époque. Mme de Maintenon n’y aurait pas plus retrouvé les objets familiers à ses yeux que Diane de Poitiers ou Mme de Pompadour; mais les femmes de tous les temps y auraient apprécié une réunion de choses choisies avec une intelligence exquise pour seconder les ébats d’une coquetterie légère ou passionnée, suivant leurs désirs. Des fleurs précieuses dans de grands vases éclataient là comme une apparition rêveuse de la nature; un piano dans un coin obscur, monde mystérieux et endormi des sons, atten-