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depuis longtemps un des hôtes habituels de Paris. Malgré toutes les révolutions qui l’ont bouleversée, la France sera toujours comme au temps de Marie-Stuart le plus plaisant pays du monde et la patrie par excellence de la galanterie. La volupté peut régner à Naples ou à Florence, la corruption dans telle ou telle ville; mais on ne connaît réellement qu’à Paris ce genre d’affection délicate, ce besoin secret, impérieux et raffiné du plaisir qui se mêle à toute chose, qui égaie les plus graves discours, se cache sous les mœurs les plus sévères, et parfume, comme un bouquet de fleurs invisibles, l’air que chaque poitrine respire. Cosme y eut donc ce qu’on appelait autrefois des bonnes fortunes; seulement, comme c’était le moins roué des hommes, quoi qu’en aient dit souvent ceux et celles qui l’ont mal connu, il laissa dans ce gouffre charmant, où se sont engloutis tant de trésors de toute nature, la meilleure part de son âme, son aptitude à être heureux. Quand il reçut à Novare une balle qui lui traversa la poitrine, il avait eu déjà l’occasion de commenter plus d’une fois l’axiome que François Ier écrivait sur une vitre en un jour de mélancolie. Cependant il était encore atteint d’une grande passion pour une femme qui lui écrivait chaque semaine : « Je veux aller vivre avec vous dans votre Italie. Je me sens attirée, comme la Mignon du poète allemand, par le pays où fleurit l’oranger; n’est-ce pas là que fleurit mon cœur? » En attendant, cette Mignon, qui du reste avait assez peu d’analogie avec la petite Bohémienne de Goethe, fleurissait elle-même tous les soirs à l’Opéra, aux Italiens et dans toute sorte de réunions nombreuses, où des hommes qui se piquaient d’être à la fois aimables et graves, enjoués et prudens, accusaient devant elle la témérité des Piémontais.

Cosme, à peine guéri de sa blessure, eut hâte de se rendre en France. Celle qu’il adorait, si elle n’était pas venue le rejoindre dans un pays étranger, à travers tous les accidens d’une grande guerre, pouvait au moins l’attendre à Paris. Ainsi pensait-il en se dirigeant, tout pâle encore du sang récemment perdu, vers les lieux où il comptait trouver les seules joies dont il eût souci. Le pauvre Cosme en fut pour ses espérances : la belle s’était envolée; elle appartenait à un mari qui avait pris en extrême horreur les émotions dont Paris était le foyer depuis les journées de 1848. Émigré prosaïque, le comte de B... avait quitté la France sans méditer aucun projet de retour à main armée, pour n’aller retrouver aucun prince, mais tout simplement pour surveiller des sommes assez fortes placées sur une banque anglaise. Certaines femmes ont un démon qui les pousse à s’efforcer de rendre poétiques tous les événemens de leur vie. « Je suis mariée, disait une lettre adressée à Cosme. Aux heures solennelles de la vie, des devoirs que l’on ne voyait plus de-