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qu’elles arracheront encore à certains yeux de ces larmes que tu as tant aimées.

Avant ce mot, qu’un poète de notre temps prête à un prince italien : Hercule, un de mes ancêtres, une marquise de Guiccia, née Giuli, avait dit au siècle dernier : « Vénus, une de mes grand’mères. » Un généalogiste du XVIe siècle rattache en effet les Giuli à la famille Jules, dont fut César, le seul grand homme qui ait eu l’élégance, la finesse et la grâce presque effrayante, tant elle est surhumaine, de la femme. Or les Jules, comme on sait, descendaient par Ascagne de Vénus. Ce qui est bien certain, c’est que jamais homme ne fut plus envahi par l’élément féminin que le marquis Cosme de Giuli. M. de Lamartine en vers et M. de Chateaubriand en prose ont déclaré que ni la politique, ni les lettres, ni l’amour du peuple, ni le culte des rois n’avaient été les vraies fins de leur vie. Ils ont dit ce qui leur semblait la grande joie, la vraie domination de ce monde. Si Cosme eût fait une profession de foi, je crois que, dans son amour pour la royauté d’Eve, il eût été encore plus loin que l’historien de la Gironde et que l’auteur du Congrès de Vérone.

Ce mot tant de fois cité d’un courtisan : « Que n’ai-je servi Dieu comme le roi, » avec quelle vérité Cosme aurait pu le dire, en mettant à la place du roi ces toutes-puissantes souveraines que les révolutions ne détrônent pas! C’eût été du reste uniquement en songeant aux choses éternelles que Cosme aurait pu parler de son continuel souci, de sa pensée dominante avec une sorte de repentir, car il était inépuisable en argumens à la fois légers et solides, lorsque les gens réputés sérieux l’engageaient à quitter pour des soins plus élevés ce qu’ils nommaient ses frivoles passe-temps. Quand il réfléchissait sur le néant de tout ce qu’on lui offrait pour l’enlever à son culte de chaque instant, il éprouvait ce grand étonnement, il exprimait ce sincère dédain, que l’âme originale et tendre de saint Augustin a si bien rendus dans une apostrophe aux hommes graves qui pourrait être signée Byron. Toutefois il n’était pas étranger à ce qu’on nomme la vie publique; il ne s’est jamais montré indifférent à la politique, quoiqu’il jugeât bien sévèrement à part lui cette magicienne vieillie qui a fatigué les pas de nos pères et les nôtres à la suivre dans un jardin qu’on croyait varié, et où l’on voit toujours les mêmes plantes et les mêmes bêtes, que l’on réputait infini, et où chacun va se heurter aux mêmes limites après le même nombre de circuits. Puis je crois qu’il a eu pour la guerre une sérieuse amitié.

Aide-de-camp de Charles-Albert, il vint en France au moment où le Piémont se préparait à lutter contre l’Autriche. C’était du reste