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pas croire aux chronomètres, et Kerguelen par exemple, navigateur des plus distingués, manquait en 1771 le cap de Bonne-Espérance de plus de 8 degrés, plutôt que d’admettre la longitude que l’astronome Rochon lui donnait d’après ses montres !

L’introduction des chronomètres obtenus par le génie des Berthoud et des Leroi fut promptement suivie d’autres progrès importans, qui achevèrent de transformer l’art de la navigation pour l’amener à la perfection relative qu’il a atteinte aujourd’hui. Les cartes plates, dont nous avons indiqué la complète inexactitude, furent définitivement remplacées par les cartes réduites, seules en usage aujourd’hui. Les instrumens à réflexion, dus à Hadley et au célèbre Borda, succédèrent à l’astrolabe et à l’arbalète, annulèrent les causes d’erreur inhérentes à la mobilité du navire, et dotèrent les observations de mer d’une précision que l’on ne peut guère espérer de voir dépasser. Enfin l’architecture navale modifia les formes des vaisseaux, augmenta leurs vitesses, et si elle ne se mit pas d’abord à toute la hauteur des perfectionnemens que nous venons de signaler, du moins entra-t-elle dans une voie de progrès d’où elle ne devait plus sortir. Au commencement de notre siècle, six mois sont, par exemple, une durée ordinaire pour la traversée d’Angleterre aux Indes, qui n’employait pas moins de dix mois cinquante ans auparavant.

Il n’entre pas dans le plan de cette étude de suivre dans ses diverses phases la transformation que nous venons d’indiquer[1]. Franchissons donc un siècle, et voyons dans quelles conditions le marin d’aujourd’hui accomplit ses traversées : grâce à ses montres, devenues par leur bas prix d’un usage général, il connaît à tout moment sa longitude, et, quelles que soient les agitations du vaisseau, quelles que soient les variations de température des climats extrêmes qu’il traverse, ces précieux garde-temps (comme on les avait heureusement nommés dans le principe) ne lui en conservent pas moins invariablement l’heure de son premier méridien.

  1. Nous passons nécessairement sous silence bien des détails curieux, qui, tout en rentrant indirectement dans notre sujet, nous entraîneraient au-delà des limites que nous nous sommes imposées. L’éclairage des phares est dans ce cas : les puissans réflecteurs que chacun a pu admirer à la dernière exposition universelle sont, on le sait, d’une date assez récente, et la découverte de ces précieux appareils est une de celles qui font le plus honneur à notre pays ; mais on ne sait pas assez combien était misérable ce qui a précédé l’état actuel. Le marin qui franchit de nuit cette Manche, aujourd’hui si splendidement illuminée par la prévoyance de deux gouvernemens, ignore que dans le siècle dernier ces feux étaient d’une si faible portée, que les ordonnances de nos ports obligeaient les habitans dont les fenêtres donnaient sur la mer à fermer leurs volets le soir, s’ils allumaient une chandelle, afin que les navires ne confondissent point le phare avec la chandelle. En 1780, une pétition de la ville de Dieppe cite plusieurs méprises de ce genre, et parle, entre autres, d’un navire jeté à la côte pour avoir ainsi confondu avec le feu de la jetée une simple lanterne portée par une femme.