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par l’avantage d’une langue mieux appropriée à ce but spécial, l’esprit français a pris en matière de sciences l’habitude de certaines méthodes d’exposition dont, pour notre compte, nous sommes les premiers à apprécier les rares mérites de rigueur et de clarté. La forme de Maury est toute différente, et j’avoue que je suis assez embarrassé pour exprimer ici nettement mon avis : est-ce à dire que ses doctrines, telles qu’il les a présentées, ne supportent ni l’examen ni la discussion ? Certes rien n’est plus loin de ma pensée ; cependant, il faut le reconnaître, la Géographie physique de la Mer, s’offrant sous la forme que lui a donnée l’auteur, forme peu en harmonie avec nos habitudes scientifiques, ne recevrait probablement pas du lecteur français l’accueil auquel elle a droit. Souvent en effet la puissante imagination de Maury fait de lui un véritable poète, et parfois ses descriptions rappellent involontairement ces récits des Mille et Une Nuits qui ont charmé notre enfance, alors que la reine Gulnare dépeint à son époux émerveillé les mystérieux royaumes des profondeurs sous-marines. Aussi faut-il, tout en lisant son livre, se rappeler que le go ahead n’abdique jamais entièrement ses droits sur un Américain, et que dans des recherches de cette nature l’auteur, incessamment dominé par l’idée d’ensemble, a pu parfois ne pas se préoccuper suffisamment de ce qu’il laissait derrière lui, emporté qu’il était par son ardeur, et séduit par les nouveaux horizons qui s’offraient à chaque pas. Ce qui importe surtout, c’est de n’aborder cette lecture avec aucun parti pris d’avance, aucune idée préconçue, mais bien avec l’entière bonne foi dont Maury lui-même nous offre un exemple si remarquable ; car, tout en obéissant involontairement à l’entraînement de sa nature, nul ne signale plus consciencieusement que lui là où s’arrête le domaine de l’observation, là où commence celui de l’hypothèse, et en même temps nul ne possède à un degré plus éminent cette qualité si rare, et pourtant si nécessaire au vrai savant, de ne pas craindre au besoin d’avouer son ignorance.

Encore un mot. Cette science que l’illustre Humboldt a proclamée nouvelle et dont nous avons essayé d’exposer les magnifiques débuts, cette science, il faut se le rappeler, ne date que d’hier : pourtant l’on peut déjà prévoir l’immense développement qui lui est réservé, l’importance des résultats que l’on est en droit d’en espérer, et il est juste que la légitime admiration inspirée par l’homme de génie à qui elle doit ses premiers succès s’augmente de toute la féconde perspective de ce glorieux avenir.

Ed. Du Hailly.