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un exhaussement notable, qui semble opposer à tout courant sous-marin une barrière infranchissable, et, bien que l’existence de ce courant soit en quelque sorte moralement démontrée[1], les adversaires de Maury, au nombre desquels se trouve le célèbre géologue sir Charles Lyell, contestent à la circulation océanienne la possibilité de gravir une rampe aussi escarpée que celle accusée par la sonde dans ces parages. La meilleure réfutation de cette doctrine est dans les conséquences auxquelles elle conduit : il résulterait de là en effet que toutes les dépressions, toutes les vallées situées au fond de l’Océan devraient être remplies d’une véritable saumure, se transformant peu à peu en dépôts de sel cristallisé ; il en résulterait encore que l’eau, une fois descendue dans ces fonds par le fait de sa densité, y serait soustraite à toute circulation, et éternellement frappée d’immobilité. En un mot, une molécule liquidé tombée au-dessous du niveau supérieur d’une élévation sous-marine ne pourrait être retirée des profondeurs où elle se trouve par aucune des forces mises en jeu dans la nature. D’après une semblable théorie, dans les barrages situés en amont de nos moulins par exemple, le mince et rapide courant qui franchit le déversoir devrait exister avec la même vitesse et la même épaisseur à la surface du réservoir, tandis que les couches inférieures seraient en repos complet : un instant d’observation suffit à montrer qu’il en est autrement, que le courant est à peine sensible en amont du réservoir, et en général que dans toute rivière le courant, paresseux dans les grands fonds, augmente en rapidité lorsque l’on approche d’une cascade ou d’un barrage, parce qu’il est alors alimenté par l’eau des couches infé-

  1. En 1712, le corsaire le Phénix, de Marseille, capitaine Du l’Aigle, coula entre Tarifa et Tanger un navire hollandais qui, quelques jours après, reparut sur l’eau à quatre lieues au moins dans l’ouest du point où il s’était abîmé. Il devait donc avoir parcouru cette distance dans une direction diamétralement opposée à celle du courant de surface, ce qui, dès cette époque, avait conduit certains esprits à l’hypothèse d’un courant de sortie sous-marin. — Le courant de surface conduisant de l’Atlantique dans la Méditerranée est connu depuis longtemps, et Maury cite un cas de navires retenus en 1855 quatre-vingt-dix jours au détroit de Gibraltar par la force de ce courant, qui les empêchait de pénétrer en louvoyant dans l’Atlantique. On peut donc lui donner sans crainte une vitesse de 2 nœuds (3,704 mètres) à l’heure, et si de plus on lui attribue une profondeur de 120 mètres sur une largeur de 7,000 mètres, on trouvera (en évaluant à un trentième la proportion de sels renfermée dans l’eau de mer) qu’il s’est introduit dans la Méditerranée pendant ces quatre-vingt-dix jours une masse saline de 366 kilomètres cubes ! En présence de ces chiffres, et lorsque l’on songe à ce qui a pu être ainsi introduit depuis des siècles, l’existence d’un courant sous-marin reportant à l’Atlantique cet excès de matière solide semble, comme nous le disions, moralement démontrée. S’il en était autrement, le fond de la Méditerranée serait formé de dépôts salins cristallisés, ou tout au moins son eau serait une véritable saumure sursaturée, hypothèses que rend également inadmissibles notre connaissance actuelle du fond de cette mer et de la composition de ses eaux.