Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/432

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’évaporation équatoriale s’est produite à la surface de l’Océan ; l’eau plus salée et plus dense qui en est résultée se trouvera donc aussi à la surface, et devra, par le fait de sa pesanteur, s’enfoncer pour faire place à l’eau, de composition normale, des couches inférieures, — d’où s’ensuivra de l’équateur vers les pôles un système de courans sous-marins formés d’une eau spécifiquement plus pesante, et des pôles à l’équateur un système de courans de surface, formés au contraire d’une eau moins salée et d’une plus faible densité.

Maury est loin de donner les idées que nous venons d’exposer sommairement comme une théorie générale de la circulation océanienne ; du reste, il ne pourrait sans une singulière inconséquence procéder ici de la cause à l’effet, après nous avoir donné dans ses travaux sur l’atmosphère une si remarquable application de la marche inverse. Sa méthode, la seule qui soit véritablement rationnelle et féconde dans l’étude des sciences naturelles, consiste à grouper les données de l’observation jusqu’au moment où de leur masse devenue suffisante il peut conclure les lois régissant les phénomènes qui l’occupent. Or, nous le répétons, si étrange que la chose puisse paraître au premier abord, on est infiniment moins renseigné sur le mouvement des eaux de l’Océan que sur celui de l’atmosphère. Les seules données certaines que puisse directement fournir l’observation sont recueillies près des côtes, c’est-à-dire là où les lois générales s’effacent devant les mille exceptions dues aux circonstances locales. En haute mer, le marin est soumis à l’influence des courans, sans pouvoir, du moins dans l’état actuel de la science nautique, la constater d’une manière suffisamment exacte pour que ses observations à ce sujet ne soient pas presque inévitablement entachées d’un doute constant. On peut donc le dire, notre connaissance actuelle de la circulation océanienne se borne à l’indication de quelques courans épars, et comme jetés au hasard à la surface des mers, les uns bien étudiés, grâce à leur importance capitale, comme le gulf-stream par exemple[1], les autres, et c’est le cas

  1. On sera moins étonné de l’ignorance où nous sommes encore du mouvement général des courans, lorsqu’on saura combien est relativement récente la découverte du plus important d’entre eux, le gulf-stream, et comment la connaissance n’en a été rendue publique que fortuitement. En 1770, Franklin, alors à Londres, fut consulté sur quelques changemens à apporter dans le service des paquebots entre l’Angleterre et l’Amérique du Nord, et s’en fut lui-même chercher des renseignemens sur cette navigation auprès d’un baleinier américain, le capitaine Folger, alors à Londres comme lui. L’illustre savant apprit de ce marin comment l’existence du gulf-stream, à cette époque presque généralement ignorée, lui avait été révélée par la constance avec laquelle les baleines évitent ses eaux. À la demande de Franklin, Folger indiqua ce courant sur une carte depuis la passe de la Floride, et le plus curieux de l’histoire est que le trajet et les limites ainsi tracés de mémoire par le capitaine baleinier, puis reproduits sur les cartes hydrographiques, y ont été maintenus presque jusqu’à ces dernières années. Aujour-