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monde européen qu’elle redevienne puissante et forte, qu’elle a sur les rayas chrétiens une souveraineté absolue, qu’elle peut, dans les principautés, substituer la souveraineté à la suzeraineté, et changer en sujets des tributaires indépendans, qu’en Serbie elle peut essayer de contrôler et de subordonner l’indépendance du prince et du pays. Voilà quelle est l’exécution musulmane du traité de Paris ; mais en revanche aussi, et comme je l’ai dit plus haut, chaque acte de cette exécution musulmane est un progrès de la Russie vers le rétablissement de son ascendant en Orient. À mesure que le traité s’exécute contre les principes et contre une des intentions principales de la guerre de 1855, c’est-à-dire contre la régénération des chrétiens en Orient, la Russie redevient, aux yeux des populations orientales, ce qu’elle était avant la guerre, leur plus sérieuse et leur plus sincère protectrice contre les Turcs. Les populations de l’Orient ne demandaient pas mieux que d’avoir contre les Turcs des patrons aussi puissans et plus désintéressés que les Russes : elles ont donc accueilli avec un empressement reconnaissant les promesses que l’Occident leur faisait durant la guerre de 1855 et dans le traité de 1856. À mesure cependant qu’elles voient que les promesses sont vaines, que la guerre, entreprise, disait-on, pour réprimer l’ambition de la Russie, aboutit à la reconstitution violente et oppressive de la Turquie, elles reviennent à penser que, leur danger le plus sérieux et le plus prochain étant la Turquie, leur appui le plus sûr et le plus prochain est la Russie. Il est une vérité que nous venons d’établir, et qui frappera peu à peu tous les yeux, mais qui ne les frappera que trop tard : c’est qu’en Orient tout ce qu’on fait pour rendre à la Turquie un semblant de force rend à la Russie son ascendant, et qu’à mesure qu’on donne à la Turquie une apparence, on donne à la Russie une réalité.

Nous avons entendu le témoignage de Mgr Mislin dans la question d’Orient telle qu’elle est en 1858. Ce témoignage est important, parce que l’auteur du pèlerinage des Saints-Lieux est dans une situation à la fois impartiale et élevée, qu’il aime la vérité, et qu’il a tout ce qu’il faut pour la voir et pour la dire. Il nous reste à entendre dans l’enquête le témoignage d’autres voyageurs et d’autres écrivains qui aient, depuis la paix de Paris, visité et étudié l’Orient.

Saint-Marc Girardin.