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nous avions des colons européens en Thessalie et dans l’Asie-Mineure, est-ce que nous permettrions qu’ils fussent persécutés et opprimés ? Nous avons là des colons de notre religion, sinon de notre race : n’est-ce pas assez pour que nous les défendions ? En protégeant leurs vies et leurs biens, nous rappelons du même coup la terre à sa vieille fertilité, la mer à son vieux commerce ; nous faisons une bonne action et une bonne affaire. Comment cela ne tente-t-il pas notre siècle ?

Ces dernières paroles m’amènent naturellement à dire quelques mots du rôle que, selon Mgr Mislin, les diverses puissances européennes jouent en Orient.

Nous savons déjà ce que Mgr Mislin pense de la direction toute musulmane que quelques personnes voulaient donner à la guerre d’Orient. Cette direction s’est effacée ou dissimulée dans le traité de Paris. Elle reparaît depuis le traité dans l’allure de quelques puissances, de telle sorte que le traité de Paris est exécuté moins chrétiennement qu’il n’a été fait. J’expliquerai tout à l’heure ce que j’entends par ces mots ; mais je veux d’abord montrer quelle juste et honnête répugnance Mgr Mislin a contre l’esprit de restauration musulmane qui a inspiré quelques personnes pendant la guerre de 1855. Comme cet esprit a, selon moi, gâté la guerre en quelques parties, et qu’il l’aurait chaque jour gâtée davantage, si la paix n’était pas arrivée à propos ; comme enfin, depuis qu’il ne gâte plus la guerre, ce funeste esprit gâte chaque jour la paix, comme c’est la véritable plaie de la question d’Orient, il est bon de voir ce que les chrétiens sincères, comme Mgr Mislin, pensent sur ce point. Je me réserve ensuite de montrer que, quoi qu’en disent les politiques et les hommes d’état, la bonne politique en Orient, c’est d’être chrétien avant tout.

À Saint-Jean d’Acre, Mgr Mislin rappelle le traité du 15 juillet 1840 et la prise de cette ville par les flottes de l’Angleterre et de l’Autriche, qui l’ôtèrent « aux musulmans de l’Égypte soutenus par M. Thiers pour la rendre aux musulmans de Constantinople, incapables de s’en emparer eux-mêmes sans le secours des chrétiens. Voilà quels sont les croisés du xixe siècle !… On voit combien nous sommes loin des croisades de saint Louis. De nos jours,… l’étendard de la croix ou plutôt les drapeaux d’où la croix a disparu flottent à côté des bannières de Mahomet, sur lesquelles le croissant se voit encore, et sont levés contre d’autres armées chrétiennes : tels sont les miracles de la politique et de l’incrédulité[1]. »

J’aurais bien quelque chose à dire sur la question d’Égypte de

  1. Tome II, p. 31.