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ration de la Turquie, et il s’explique sur ce point avec une franchise que je ne saurais trop louer ; mais même lorsque Mgr Mislin aurait voulu croire à la régénération de la Turquie, comment y croire encore et ne pas comprendre que la civilisation de la Turquie est une pure simagrée, et que le fond des cœurs n’a pas changé, quand par exemple « les croix placées sur les tombes des soldats français, au cimetière de Gallipoli, ont été profanées, et que les réclamations adressées à Constantinople ont eu pour résultat des profanations nouvelles[1] ? » En 1799, après la retraite de Saint-Jean-d’Acre, les Turcs massacrèrent tous les soldats français blessés ou malades qui étaient au couvent du Mont-Carmel, « et laissèrent leurs ossemens épars sur la montagne. Lorsque les carmes furent rétablis dans leur couvent, ils les recueillirent pieusement et les portèrent avec respect dans le tombeau qu’ils leur avaient préparé[2]. » Mais enfin en 1799 nous étions en guerre avec la Porte-Ottomane : en 1855 au contraire, nous étions les alliés et les défenseurs de la Turquie ; les tombes de nos soldats méritaient d’être respectées. Et voyez la différence d’avoir affaire à des alliés barbares ou à des ennemis civilisés : les tombes françaises et anglaises de Sébastopol sont respectées par les Russes, nos anciens ennemis ; les tombes des Français morts à Gallipoli sont profanées par les alliés que nous avons sauvés.

Voilà pour la tolérance de la Turquie prétendue réformée. Ailleurs encore Mgr Mislin raconte que « tandis que les armées chrétiennes se battaient en Crimée, on emprisonnait à Candie et on laissait mourir de faim d’anciens chrétiens qui avaient été forcés en 1821 d’embrasser l’islamisme, et qui, croyant le moment favorable de professer publiquement la religion qu’ils n’avaient jamais reniée dans leur cœur, étaient retournés dans les églises. Je me suis trouvé dans le cas de faire des représentations si pressantes au gouverneur général de l’île, que, dans la crainte d’être désavoué ou puni à Constantinople, ou d’être maltraité, dénoncé par les musulmans de Candie, qui ne manquaient pas d’exciter des troubles, il prenait l’attitude d’un suppliant, me priait d’avoir pitié de lui et promettait d’user de tous les ménagemens possibles envers ses prisonniers[3]. » Ce gouverneur-général de Candie est un symbole du gouvernement turc placé entre les réclamations de la civilisation européenne et les menaces de la vieille barbarie musulmane.

Vous êtes des ingrats, dit-on aux chrétiens occidentaux ; voyez combien le gouvernement turc est tolérant ! À Jérusalem, par exemple, a-t-il détruit le saint sépulcre ? Ne laisse-t-il pas les chrétiens y

  1. Tome Ier, préface.
  2. Tome II, p. 57.
  3. Tome Ier, Préface.