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LES VOYAGEURS EN ORIENT.

gouvernement constitutionnel à Paris a ébranlé toutes les vieilles monarchies de l’Allemagne : elles ont expié leur joie ; cette joie en effet était coupable, non pas seulement d’éclater, mais d’exister avant d’éclater. L’Europe monarchique a eu sa part dans les mille et une causes qui ont amené la chute de la monarchie de 1830. Ces mille et une causes n’auraient rien fait sans le mouvement accidentel du 24 février, j’en suis convaincu ; mais les monarchies ont toutes péché par malveillance contre la monarchie de 1830, et elles ne s’en sont repenties qu’en se trouvant, sans le savoir, enveloppées dans sa chute.

Je m’en suis aperçu, madame, étant par terre,


dit un personnage de comédie à qui on explique après coup les causes de sa chute. Les monarchies européennes n’ont compris aussi qu’après coup et étant par terre que la monarchie de 1830 était une digue au lieu d’être un danger. J’ajoute que ce qui me fait croire que l’Europe monarchique s’est repentie de la malveillance qu’elle avait contre la monarchie de 1830, c’est qu’elle a témoigné une extrême bonne volonté aux premiers essais de gouvernement qui ont eu lieu en France après 1848. L’Europe avait senti que, quel que soit le gouvernement qu’il y ait en France, il faut le favoriser et le soutenir, laissant de côté les préférences et les répugnances, parce qu’il est nécessaire au salut de l’Europe non pas que la France soit une république présidentielle, ou une monarchie parlementaire, ou un empire représentatif, mais que la France soit un gouvernement. L’illustre M. de Humboldt exprimait cette vérité d’une manière profonde et plaisante à la fois quand il disait à un Français qui prenait congé de lui, après le mois de février 1848, pour retourner à Paris : « Faites en sorte que votre patrie se porte bien, parce que, quand la France a le rhume de cerveau, toute l’Europe est obligée d’éternuer. »

Mgr  Mislin n’est guère favorable à la nouvelle Turquie, et c’est, je crois, un peu la faute du Turc philosophe qu’il rencontre sur le bateau à vapeur du Danube. Sami-Effendi, c’est le nom que Mgr  Mislin donne à son interlocuteur, est venu apprendre la civilisation en Europe, et ce qu’il en a appris l’a perverti sans l’éclairer. Il est sceptique, moqueur, à peine déiste, le tout sans être ni très savant ni très lettré. Ce voltairianisme musulman choque fort Mgr  Mislin, et il a raison. Il y a cependant deux parts à faire dans la conversation de Sami-Effendi. Quand il défend la société orientale et les vieilles institutions de son pays, Sami a beaucoup de bon sens, et le parallèle satirique qu’il fait entre l’Orient et l’Occident est piquant ; mais quand Sami-Effendi parle pour son compte, quand il explique ses principes re-