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LES VOYAGEURS EN ORIENT.

pouvait la relever et la fortifier. Cet état dans l’état était un souvenir et une espérance.

La réforme que le gouvernement turc a entreprise de l’église grecque a pour but de supprimer cet état dans l’état et l’espoir qui s’y rattachait, et cela au nom des principes de la civilisation occidentale. Nous voyons en effet dans le firman que la Porte-Ottomane a adressé au patriarche grec dans le courant du mois de novembre 1857, et que nous avons sous les yeux, qu’il s’agit « de mettre en harmonie les privilèges et immunités accordés aux Grecs par différens sultans avec les progrès et les lumières du siècle. » Cette phrase nous a fait trembler.

Et nous sommes perdus s’il invoque les dieux,


dit le fils de Thyeste, parlant d’Atrée dans la tragédie de Crébillon. L’expérience nous a aussi appris que les chrétiens sujets du sultan sont menacés de quelque nouveau malheur, quand le gouvernement turc invoque les progrès et les lumières du siècle. Donnez à lire le firman de réforme de l’église grecque aux partisans du droit administratif en Europe : tout est conforme aux règles de ce droit, tout est correct ; les jurisconsultes n’ont rien à y dire. Appliquez ce firman en Orient ; cette merveilleuse régularité devient un instrument et un moyen d’oppression par cette grande raison que la régularité fondée sur la justice et sur l’humanité, comme elle l’est en Europe, est chose excellente, mais que, fondée sur l’iniquité, comme elle l’est en Orient, elle est détestable. Substituer des maximes justes à des garanties incomplètes, cela semble une réforme, et cela n’est souvent qu’une aggravation dans la tyrannie ; dum consulitur veritati, corrumpitur libertas, a dit Tacite, décrivant d’avance ces réformes fallacieuses qui commencent par le bien pour arriver plus aisément au mal.

Prenons çà et là dans le firman adressé au patriarche grec quelques articles, et comparons-les aux règles du droit européen : nous croirons lire une ordonnance libellée par nos jurisconsultes. « L’autorité temporelle et judiciaire du patriarcat grec sera à jamais abolie. » Quoi de plus simple dans nos états européens que de refuser aux dignitaires ecclésiastiques tout droit sur les biens et sur les intérêts de leurs diocésains ? Mais en Orient le patriarche de Constantinople n’était pas seulement le représentant de l’église grecque, il était aussi le représentant de la nationalité grecque. Grâce à la juridiction du patriarche, les Grecs restaient en dehors de l’administration et de la justice turques : grand avantage, et qu’ils appréciaient tellement que je vois dans le livre de M. Mathieu que, quoi-