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hautes positions; une ambition exagérée, une vanité sans bornes, les erreurs de jugement qui en sont inséparables, une déplorable légèreté d’esprit et de caractère, l’absence, trop ordinaire d’ailleurs chez les hommes de sa génération, de ces principes arrêtés sans lesquels les meilleurs penchans ne sont qu’une garantie insuffisante de l’accomplissement du devoir, enfin une facilité malheureuse à se séduire lui-même par des subtilités sophistiques dans le sens de ses passions et de ses intérêts, tels furent les vices et les défauts dont la funeste influence finit par prévaloir contre ses rares qualités. J’ajouterai que, par une étrange fatalité, les chances accidentelles de la destinée lui furent aussi contraires, dans la seconde moitié de sa vie qu’elles lui avaient été favorables dans la première.

Je l’ai déjà dit : les hommes, dans le jugement qu’ils portent sur les époques où ils ont vécu, s’inspirent toujours plus ou moins des impressions personnelles qu’elles leur ont laissées. Il leur faudrait une grande puissance d’abstraction et de philosophie pour juger avec une complète sévérité, quelque méritée qu’elle pût être, le temps qu’illuminent pour eux des souvenirs de bonheur ou seulement d’espérances, et pour ne pas considérer, par compensation, comme une ère de décadence et d’humiliation universelle celui qui a vu leur propre abaissement ou la ruine de leurs illusions. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la pensée du maréchal Marmont, lorsqu’elle se reportait vers le passé, s’arrêtât avec complaisance sur les souvenirs de l’empire, qui étaient tout à la fois ceux de sa jeunesse, de sa gloire, de sa grandeur, et que la restauration, le gouvernement de juillet surtout, lui apparussent dans un jour moins brillant. Cependant ce n’est pas d’un esprit tel que le sien qu’on devait attendre une appréciation aussi excessive que celle qu’il exprime, lorsque, racontant dans ses Mémoires le passage de l’empire à la restauration, il prononce ces incroyables paroles : « Je vais quitter cette époque de gloire et de calamité où tant de grandes choses ont été faites, où les jours étaient marqués par des événemens qui bouleversaient les peuples, pour peindre un monde nouveau. Ici, tout est petitesse, et souvent la petitesse va jusqu’à la dégradation. » On a remarqué avec raison que cette pensée est absolument identique à celle qui se trouve exprimée dans les Mémoires de M. de Chateaubriand en termes non moins violens : « Retomber de Bonaparte et de l’empire à ce qui les a suivis, a dit ce singulier royaliste, c’est tomber de la réalité dans le néant, du sommet d’une montagne dans un gouffre. »

Il peut être piquant, pour les admirateurs fanatiques et exclusifs du premier empire, de voir deux des hommes qui ont attaché leur nom à sa chute de la manière la plus éclatante dire, pour ainsi parler, leur meâ culpâ en lui rendant ce témoignage, que toutes les