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dédommagement de ses dotations d’Illyrie perdues à la chute de l’empire, une pension viagère qui rappelait trop ses négociations de 1814 avec le prince de Schwarzenberg. Il y fut bien accueilli et s’y créa des rapports de société qui adoucirent pour lui les rigueurs de l’exil. C’est alors qu’il eut, avec le jeune duc de Reichstadt, ces entretiens singuliers dont il peut avoir orné les détails, mais dont le fond, la réalité incontestable sont un des plus dramatiques épisodes de l’histoire contemporaine. Le fils de Napoléon se faisant raconter sur la terre étrangère les exploits de son père par un de ses compagnons d’armes, par celui-là même qui, lié avec lui dans sa jeunesse de la manière la plus intime, l’avait abandonné au jour de l’infortune pour tenter une carrière nouvelle qui venait aussi d’aboutir à l’exil, c’est certainement un des jeux de la fortune les plus étranges et les plus imposans.

Marmont cependant n’avait pas entendu rompre ses liens avec la France; il avait envoyé son serment de fidélité au gouvernement nouveau, qui, je ne sais par quel ménagement, ne fit jamais insérer son nom dans les listes publiques des maréchaux et des pairs de France. Comme rien pourtant dans les derniers actes du duc de Raguse n’était de nature à l’exposer à de justes reproches, l’opinion ne tarda pas à devenir envers lui plus calme et plus équitable qu’elle n’avait pu l’être au moment de la crise, et après quelques années il aurait pu rentrer dans sa patrie, s’il n’avait eu, pour s’en tenir éloigné, d’autres motifs que sa situation politique. Sans doute il n’avait plus de rôle actif à y jouer, son passé lui interdisait de servir sous un autre gouvernement que celui avec lequel il venait de tomber; mais il eût retrouvé en France assez d’amis et de distractions pour achever doucement une existence longtemps si agitée. Malheureusement il y eût retrouvé aussi de nombreux créanciers à qui la perte de ses traitemens ne lui aurait plus permis de faire prendre patience par des paiemens partiels. Il était donc condamné à un éternel exil.

Encore plein de force et de vivacité, il employa plusieurs années à des voyages dans le midi de la Russie et dans plusieurs parties de l’empire ottoman. Son attention se porta principalement sur l’Egypte, théâtre des exploits de sa jeunesse, où pour la première fois, à peine âgé de vingt-quatre ans, il avait exercé d’importantes fonctions. Partout accueilli avec les égards, l’empressement, la distinction que commandaient sa réputation et son rang, il put, dans ces pérégrinations, se faire encore quelque illusion sur la nullité où il était tombé. À cette jouissance d’amour-propre sa curiosité naturelle, ses facultés d’observation et d’étude, ses connaissances variées et étendues, qui lui permettaient d’apprécier ce qu’il avait sous les yeux, ajoutèrent d’autres jouissances plus sérieuses. De retour en