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hostile, ne rencontrant, là même où on ne les attaquait pas, qu’une inimitié évidente, quoique muette, n’étaient pas généralement bien convaincus que les insurgés fussent dans leur tort, et craignaient d’encourir la malédiction universelle en répandant, pour fonder le pouvoir absolu, le sang des défenseurs de la constitution. Si tels n’étaient pas les sentimens de tous les gardes royaux, c’étaient ceux des régimens de ligne qui leur servaient d’auxiliaires, et les gardes royaux eux-mêmes, tout en faisant noblement leur devoir, laissaient voir par leur attitude triste et embarrassée que l’atmosphère morale dont ils étaient entourés pesait aussi sur eux. Avec de tels élémens, Marmont, je le répète, aurait succombé, alors même qu’il eût commandé, au lieu de quelques régimens, une armée tout entière.

Dans cette position plus que difficile, il fit, c’est ma conviction, tout ce qu’il pouvait faire. D’un côté, il lutta, autant que le lui permettait l’exiguïté de ses ressources, contre les progrès de la révolte; de l’autre, il ne cessa de transmettre à Saint-Cloud, où le roi et la cour se trouvaient alors, les informations, les avis qui pouvaient faire comprendre à Charles X la gravité, l’immensité du danger et l’urgence d’une transaction encore possible alors. Il se trouva également impuissant à persuader le monarque et à vaincre les insurgés. Il n’en repoussa pas moins avec une fermeté mêlée d’une sorte de désespoir les instances de ceux qui, comme d’autres l’avaient fait seize ans auparavant, l’adjuraient au nom de la patrie et de l’humanité d’abandonner une cause irréparablement vaincue; il rejeta même l’offre de certains royalistes qui lui proposaient, s’il voulait les y autoriser, d’arrêter les ministres, espérant sauver le trône en sacrifiant ces victimes expiatoires. Marmont comprit cette fois qu’il est des devoirs avec lesquels il n’est pas permis de transiger, même pour sauver les plus précieux intérêts.

On sait qu’après trois jours de luttes sanglantes il fut forcé de se replier sur Saint-Cloud avec les restes de sa petite armée; on sait aussi comment il y fut traité par un des princes pour qui il venait de s’immoler. Il est impossible de ne pas frémir en lisant le récit qui nous peint ou plutôt nous fait deviner les sentimens qui durent l’assaillir lorsqu’il entendit retentir à ses oreilles le mot de traître, prononcé par une telle bouche. On n’a pas le courage de blâmer l’amertume avec laquelle, racontant cette douloureuse scène, il parle du prince infortuné qui lui avait infligé un tel supplice.

Après avoir, non sans courir quelques dangers personnels, accompagné Charles X jusqu’en Angleterre, le maréchal prit congé de lui, et comme l’exaltation populaire qui régnait alors en France lui interdisait, au moins pour quelque temps, de rentrer dans sa patrie, il alla chercher un asile en Autriche, où, par une faveur exceptionnelle, la munificence du cabinet de Vienne lui avait assuré, en