Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sauf la courte distraction de cette ambassade, le maréchal se vit réduit, pendant près de quinze ans, à dépenser son activité dans l’accomplissement des monotones et minutieux devoirs du commandement de la garde royale. Il ne fut pas employé en 1823 dans la nouvelle guerre d’Espagne, et il était en effet difficile de le replacer, dans une position et avec un but si différent, sur le théâtre où, peu d’années auparavant, il avait figuré comme un des principaux lieutenans de Napoléon. Cette inaction prolongée devait d’autant moins convenir à un caractère tel que le sien, qu’il était encore dans toute la force de l’âge. Incapable de s’y résigner, il y avait déjà longtemps qu’il s’était tourné vers les entreprises industrielles qui commençaient à prendre faveur; mais comme il y porta ces conceptions ingénieusement subtiles, cette hardiesse, cette confiance en lui-même, ce goût des aventures qui avaient marqué sa carrière militaire et politique, il y trouva, au lieu de la gigantesque fortune qu’il espérait, une ruine complète, dont ne purent le relever les secours généreusement prêtés par la liste civile. Les conséquences de ces fausses spéculations devaient peser sur tout le reste de son existence. Accablé de dettes qui dépassaient ses ressources, il perdit cette indépendance matérielle, si l’on peut ainsi parler, sans laquelle l’indépendance morale ne peut guère être complète, et qui, surtout aux époques de révolutions, est indispensable aux hommes publics pour garantir à tout événement la dignité et la conséquence de leur conduite.

Un jour, aux approches de la grande révolution de 1830, Marmont put croire qu’il allait lui être permis de rentrer avec éclat dans la glorieuse carrière où il avait passé sa jeunesse. La guerre avait éclaté entre la France et le dey d’Alger. Deux ans d’un blocus inefficace avaient démontré la nécessité de recourir à des moyens plus énergiques pour vaincre l’obstination barbare du dey. Une expédition se préparait. Le maréchal en avait demandé le commandement; on le lui avait fait espérer, et il avait d’autant plus lieu de compter sur l’accomplissement de cette promesse, que le gouvernement l’avait consulté sur les mesures d’exécution. Nul d’ailleurs, parmi les premiers chefs de l’armée, ne paraissait, à beaucoup d’égards, plus propre à ce commandement. Il était, comme il ne manque pas de le faire remarquer, le seul survivant de ceux qui, ayant fait la campagne d’Egypte dans une position déjà élevée, avaient acquis une expérience suffisante de la manière dont on pouvait combattre avantageusement les Arabes; il était aussi le plus jeune, le plus actif des maréchaux. Néanmoins au dernier moment le mauvais vouloir du dauphin et l’ambition du ministre de la guerre, M. de Bourmont, qui voulait gagner le bâton du maréchalat, tirent évanouir toutes ces chances favorables. Ce dernier, qui, s’il faut en croire le duc de Raguse, lui avait d’a-