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que Monsieur et ses deux fils, au lieu de s’enfermer avec le roi, iraient sur les divers points de la France lui chercher des défenseurs, et les armées de l’Europe, accourant bientôt au secours du trône menacé, n’auraient en quelque sorte rien à faire. — Le roi, après avoir entendu cette proposition, promit d’y réfléchir; mais comme le duc d’Havré, à l’instigation du maréchal, la lui rappelait bientôt après, Louis XVIII répondit, en faisant allusion aux sénateurs romains égorgés par les soldats de Brennus : « Vous voulez donc que je me mette sur une chaise curule? Je ne suis pas de cet avis ni de cette humeur. » Il faut le témoignage même du duc de Raguse pour croire qu’il ait pu proposer un plan aussi extravagant. Ce qui est presque incroyable, c’est qu’à l’époque où il écrivait ses Mémoires, il pût penser encore qu’on avait eu tort de le rejeter.

Louis XVIII ayant quitté Paris et ensuite passé la frontière pour s’établir à Gand, le maréchal le suivit à la tête de la portion de la maison du roi et des volontaires qui protégea sa retraite en émigrant avec lui. Lors même que ses fonctions de capitaine des gardes ne lui en eussent pas imposé le devoir, la position personnelle que lui avait faite l’événement d’Essonne ne lui aurait pas permis de rester en France. Napoléon, non content de le porter sur une liste de proscrits, l’avait signalé, dans une proclamation, comme ayant par sa trahison livré Paris aux étrangers. L’empereur savait parfaitement que cette imputation était dénuée de toute vérité, mais il la croyait propre à produire un effet utile à ses vues. C’était faire beau jeu à Marmont que de le calomnier ainsi. Réfugié sur le sol étranger, il publia, pour se justifier, un mémoire qui, par la mesure et la simplicité du langage, forme un contraste frappant avec la plupart des documens de cette époque.

Dans la position pénible et fausse où il se trouvait, il sut garder une attitude assez digne. La Belgique était alors couverte de soldats coalisés qui se disposaient à envahir la France. Il comprit qu’il ne convenait pas à un ancien maréchal de l’empire, même proscrit, d’assister de trop près à ces préparatifs, d’entendre les propos de haine et de vengeance par lesquels nos ennemis s’excitaient à une lutte désespérée. Il avait d’ailleurs été question de joindre aux armées alliées le faible corps réuni autour du roi, et dont Marmont avait le commandement : il ne voulait pas se trouver mêlé à une telle combinaison, qui fut heureusement abandonnée. Avec la permission de Louis XVIIIe, il partit pour l’Allemagne, et c’est là qu’il apprit la bataille de Waterloo et la chute définitive du trône impérial.