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de vanité. Marmont, par son esprit, par son éducation, par sa naissance même, semblait un peu mieux placé que les trois quarts de ses collègues pour échapper à cet entraînement; mais il y avait trop loin encore, dans les idées anciennes et qui semblaient alors reprendre faveur, d’un simple gentilhomme tel que lui à un homme de cour, pour qu’il n’éprouvât pas lui-même une vive émotion d’avoir franchi cet intervalle.

Je n’ai pas à dire ici combien fut courte cette espèce de lune de miel, quelle fut la part des nécessités inévitables et celle des maladresses gratuites dans les circonstances qui, en peu de mois, rendirent complètement hostiles à la royauté non-seulement les soldats et les officiers subalternes qui ne s’étaient pas ralliés bien franchement à elle, mais la grande majorité de ces généraux qui avaient d’abord paru se donner de si bon cœur, et même une partie des maréchaux. Sauf quelques-uns, qui, pour des motifs parfois assez mal fondés, avaient été laissés dans un état de disgrâce fort impolitique, les maréchaux cependant avaient été comblés de faveurs. On avait cru, bien à tort, que le reste de l’armée trouverait dans les distinctions accordées à ses chefs la compensation de ce qu’on ne voulait ou de ce qu’on ne pouvait pas faire pour elle. On les avait élevés à la dignité de la pairie, fort peu prodiguée alors; plusieurs avaient eu des gouvernemens militaires; Ney et Oudinot avaient été placés à la tête de l’ancienne garde impériale, conservée en qualité de corps d’élite. Enfin Berthier et Marmont avaient obtenu le commandement de deux nouvelles compagnies de gardes du corps ajoutées aux quatre anciennes. Un trait qui caractérise les idées du temps, c’est que ce commandement, à peine militaire, qui plaçait des maréchaux de France de niveau avec des courtisans dont quelques-uns n’avaient jamais servi, était universellement considéré comme la plus éclatante récompense qu’il eût été possible de leur accorder. Entre tous les maréchaux, on l’avait réservée à l’ancien major-général de la grande armée, à l’homme que Napoléon avait tiré de pair en le créant prince souverain de Neuchâtel, et à celui qui avait eu le malheur de se donner un titre particulier à la bienveillance de la royauté en abandonnant le premier la cause et l’armée impériales. Il eût été habile à Marmont de refuser cette distinction, qui, par sa nature, rappelait trop que le nouveau roi croyait avoir envers lui des obligations particulières. S’il fût resté autant que possible, pendant ces premiers instans, confondu avec ses collègues, il eût gardé ainsi le droit de dire, avec quelque apparence de vérité, que sa conduite, bonne ou mauvaise, n’avait été dirigée par aucune vue intéressée. Il ne sut pas résister à la séduction d’un emploi qui lui faisait prendre place auprès d’anciens ducs et pairs.

Ses Mémoires font de la première restauration un tableau incomplet