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rée du gouvernement provisoire, dans un conseil auquel il avait été admis pour y présenter je ne sais quelles réclamations en faveur de l’armée, il menaça, s’il faut en croire son propre récit, le ministre des finances de le faire sauter par la fenêtre, parce qu’il s’était permis de repousser ces réclamations avec trop peu de ménagement. Il fallait fermer les yeux à l’évidence pour croire que la réaction violente produite par la fatigue de vingt-cinq années de guerre et par les excès du pouvoir absolu pût aboutir au règne du glaive. La France, qui ne connaît guère les termes moyens, était alors emportée vers la liberté par un de ces courans irrésistibles qui, à d’autres époques, en haine des exagérations de cette même liberté, l’ont jetée non moins irrésistiblement dans le despotisme. Il n’y avait rien d’ailleurs dans les Bourbons qui rendît possible un pareil régime; leurs qualités comme leurs défauts y répugnaient invinciblement.

Pour s’expliquer les illusions auxquelles Marmont se laissa entraîner en 1814 sur l’avenir réservé aux hommes de guerre, il faut tenir compte de quelques circonstances assez oubliées aujourd’hui parce qu’elles furent tout à fait passagères. Pendant les premiers instans de la restauration et surtout dans l’intervalle qui sépara la chute de Napoléon de l’installation complète du gouvernement royal, l’armée fut l’objet de ménagemens et de caresses qui avaient presque le caractère de l’adulation. La gloire dont elle resplendissait jusque dans ses revers au milieu de l’humiliation du reste de la France, la présentait comme la seule force avec laquelle il y eût à compter. Aussi, tandis que l’administration et les établissemens de l’empire, sans en excepter le sénat, qu’on avait cessé de ménager depuis qu’il avait voté la déchéance de l’empereur, étaient livrés aux insultes d’un parti violent et au dédain universel, tandis que la presse signalait son affranchissement momentané par les outrages qu’elle leur prodiguait, les étrangers, les royalistes, même les plus exagérés, s’efforçaient de consoler l’armée, de lui faire oublier son ancien chef et de la rattacher au gouvernement des Bourbons en l’enivrant de flatteries. On lui répétait sur tous les tons que, par ses immortels exploits, elle avait conservé et augmenté la gloire de la France sous les déplorables gouvernemens qui, sans elle, eussent déshonoré la patrie. Le roi lui-même essayait de lui faire croire que, dans son exil, il s’était réjoui des victoires qu’elle remportait. Il disait aux maréchaux, en les recevant pour la première fois, que désormais c’était sur eux qu’il voulait s’appuyer. Ces maréchaux, dont on s’exagérait l’influence sur leurs compagnons d’armes, étaient particulièrement entourés de prévenances et de cajoleries. Quand on lit les actes, les mémoires du temps, les dépêches même de la diplomatie, on voit qu’on les faisait entrer dans toutes les combinaisons, qu’on s’enquérait sans cesse de leurs sentimens, de leurs opinions,