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— Maladroit ! dit Acacia en se retournant et l’ajustant à son tour.

Deux balles furent encore échangées sans résultat. La foule s’amassait autour des combattans, car le combat avait lieu en pleine rue. Personne ne fit un effort pour les séparer. Les voisins et les passans étaient là comme des juges du camp. Irrité de servir de spectacle aux curieux, Acacia courut sur son adversaire et fit feu à bout portant.

Au même instant, Craig tirait. Les deux adversaires tombèrent, Acacia blessé à la cuisse, et Craig mort ; la balle avait fait sauter la cervelle.

— Bravement combattu ! dirent les assistans. On enterra Craig, et Acacia se fit porter et panser dans la chambre de Julia. Sa blessure n’était pas dangereuse, et Deborah lui promit de le remettre sur pieds en quelques jours.

— Et Julia ? demanda-t-il à voix basse.

— Elle n’a plus que quelques heures à vivre, répondit Deborah sur le même ton.

Miss Alvarez, qui était présente, quoiqu’à l’autre extrémité de la chambre, devina la réponse du médecin et frémit. Au moment de mourir, elle se révoltait contre cette cruelle nécessité. Elle se cramponnait à la vie avec désespoir. Enfin elle comprit qu’il fallait se soumettre à la destinée ; elle pria ceux qui étaient présens de sortir, et de la laisser seule avec Acacia.

— Mon cher Paul, lui dit-elle, je t’ai aimé avec une passion sans pareille. Rien ne m’a été aussi cher que toi, pas même mon salut éternel, que j’ai compromis pour toi seul. Tu m’as rendue heureuse pendant trois ans, et c’est beaucoup, car jusque-là je n’avais connu que la honte et les misères de la servitude. Par toi, j’ai connu le bonheur, un bonheur, hélas ! bien fugitif ; mais il n’a pas dépendu de toi qu’il ne fut éternel. Nous ne pouvions ni l’un ni l’autre effacer la mémoire du passé. C’est le serpent qui m’a toujours dévoré le cœur, et qui faisait couler mes larmes au milieu même de nos plus vifs transports d’amour. Oh ! Sherman ! Sherman !

Elle éclata en sanglots. Paul l’embrassait et l’appelait des noms les plus tendres sans pouvoir la consoler. Il était désespéré de voir mourir d’une agonie si cruelle cette pauvre Julia qu’il avait tant aimée, qu’il aimait peut-être plus que jamais. Elle s’en aperçut, et son âme si tendre fut presque consolée par la pensée qu’elle laisserait à son amant un doux et éternel souvenir.

— Calme-toi, dit-elle, et fais venir miss Lucy.

Celle-ci entra, presque aussi affligée qu’Acacia, car elle aimait sincèrement miss Alvarez.

— Chère Lucy, dit la mourante, comment vous remercierai-je de