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ancienne rivale : elle respecta la douleur d’Acacia, et ne l’attribua qu’à une amitié profonde violemment interrompue par la mort ; elle l’en aima davantage, car tout est prétexte d’amour pour ceux qui aiment, et de haine pour ceux qui haïssent.

Julia ne se fit pas illusion sur sa destinée. Pendant que Lucy cherchait à la consoler et à la rassurer, elle se sentait condamnée ; mais elle en était presque contente. Aux regards de Lucy, elle devina le secret de son amour.

— Je ne suis plus qu’un obstacle, pensa-t-elle. Acacia ne m’aime plus. Que ferais-je dans la vie ? Me résignerais-je à son amitié après avoir reçu de lui tant de sermens, aujourd’hui violés ?

Cette aimable et charmante Julia, si digne d’un meilleur sort, était la triste victime des préjugés de son pays. L’esclavage dès l’enfance l’avait asservie aux passions de M. Sherman, et lorsqu’elle devint libre et maîtresse d’elle-même, son déshonneur passé pesa sur toute son existence. Acacia, qui l’aurait épousée s’il avait été son premier amant, la regarda malgré lui comme une maîtresse ordinaire, et non comme la compagne de sa vie. Où l’amour ne manquait pas, le respect manquait, et l’amour sans le respect de la femme aimée n’est pas de longue durée.

Julia ne fut pas aigrie par le malheur, et cette bonté divine, qu’elle garda toute sa vie, fut comme un charme qui attirait à elle et séduisait tous ceux qui la connaissaient. Dès les premières heures, Lucy l’aima tendrement, et malgré les avertissemens de Deborah, elle la traita comme une sœur.

Cependant Acacia et Jeremiah délibéraient sur la manière de tirer vengeance de Craig.

— Il faut, dit Andersen, le faire traduire devant le jury comme complice de meurtre et d’enlèvement.

— Ami, dit le Français, laisse-moi le soin de le punir. J’ai soif de son sang. Il mourra, et je veux qu’il meure de ma main. Laissons la justice toujours boiteuse à ceux qui sont trop faibles pour se faire justice, et sachons nous venger comme des hommes.

— Est-ce que tu veux l’assassiner ? dit Jeremiah. Attends du moins que je sois nommé maire. Nous arrangerons l’affaire à l’amiable, et tu ne seras pas forcé de subir les lentes formalités d’un procès. Tous mes policemen déclareront à l’envi qu’il a tiré le premier.

— Non, répondit Acacia. Je veux que les chances soient égales. Nous aurons tous deux les mêmes armes ; mais j’aurai de plus Julia à venger. Cependant, pour ne pas faire de tort à ton élection, j’attendrai que tu sois nommé maire.

Le même jour, une guerre d’escarmouches commença entre le Herald of Freedom et le Semi-Weekly Messenger. Craig, effrayé d’abord