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cupations du génie. Miss Anderson l’encouragea dans ses visions, et ne sut pas lui recommander la prudence. Jeremiah, instruit de ce beau dessein, voulut en vain l’en détourner.

— Non, dit Lewis, je n’ai pas cherché cette occasion : c’est Dieu même qui me l’envoie ; il veut que je glorifie son saint nom profané. La lumière ne m’est pas donnée pour que je la mette sous le boisseau, mais pour que je l’expose à la vue de tous les peuples. Honte à qui peut se réjouir et vivre dans l’abondance quand des millions de ses frères gémissent dans l’esclavage !

Deborah le regardait avec admiration, et Lucy même ne pouvait s’empêcher d’approuver son projet ; mais Jeremiah ne se laissa point séduire.

— Mon cher ami, lui dit-il, cela est fort beau et fort bien pensé en Angleterre ; ici vous serez infailliblement pendu ou goudronné. Ne voyez-vous pas le piège que Craig vous a tendu ? Il est si grossier, qu’un enfant ne s’y laisserait pas prendre.

— Je confesserai ma foi dans les supplices, dit Lewis avec enthousiasme, et je serai livré en proie aux bêtes féroces comme les premiers chrétiens.

Jeremiah leva les épaules.

— Si vous avez tant d’appétit du martyre, allez-y seul au moins, et n’entraînez pas vos amis dans l’abîme où vous êtes près de vous précipiter. C’est mal récompenser l’amitié d’Acacia et la nôtre.

— Vous avez raison, dit Lewis, et puisque vous m’y faites penser, je vais sortir d’ici pour ne pas vous compromettre.

— Oh ! mon frère ! s’écria Deborah, quelle parole avez-vous dite ? Craignez-vous de donner l’hospitalité à un ami ? Voulez-vous qu’on croie en Angleterre qu’un Kentuckien a livré son hôte ?

— Ma chère sœur, répliqua Jeremiah avec impatience, je me moque de ce qu’on croira en Angleterre et ailleurs ; je ne livre pas mon hôte, je l’avertis. Je veux le retenir et l’empêcher de se perdre lui-même. L’hospitalité ne m’oblige pas de me jeter par la fenêtre à la suite d’un fou.

L’Anglais alla se loger dans un hôtel ; mais les avis de Jeremiah ne l’empêchèrent pas d’annoncer publiquement dans le Semi-Weekly Messenger que l’accusation de Craig était fondée, qu’il était réellement abolitioniste, qu’il se croyait obligé, comme Anglais et comme membre de la grande famille humaine, d’avertir ses frères du crime qu’ils commettaient tous les jours, qu’il était prêt à verser son sang pour la sainte cause de la liberté des nègres, et qu’il ne cesserait d’élever ses mains et ses prières au ciel pour la conversion des Kentuckiens, comme Moïse sur la montagne.

À la lecture de cet article, Isaac Craig fut transporté de joie. Il