Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bres aux portes de Milan. Il fit alors décapiter sur la place du château[1] le vieillard que son nom seul rendait suspect, et que sa détention comme son âge auraient empêché d’être redoutable. Il crut sans doute contenir ainsi Milan dans la soumission par la terreur ; mais, au lieu de l’épouvanter, il l’indigna. Suivi de près par les troupes de la ligue, il distribua ses soldats découragés dans une ville lasse de sa domination et prête à la révolte[2]. Les confédérés s’avancèrent en effet vers Milan, secrètement avertis qu’à leur approche les habitans prendraient les armes pour les y introduire. Le 19 novembre au soir, ils parurent devant les faubourgs. Toute la journée avait été pluvieuse. Les chemins détrempés étaient couverts d’une boue épaisse, et les champs étaient remplis de flaques d’eau que les fantassins avaient dû traverser à gué. Il fallait qu’ils se logeassent dans les faubourgs, et pour s’y loger qu’ils s’en rendissent maîtres. L’entreprenant Pescara les aborda le premier à la tête des arquebusiers espagnols. Dans son attaque impétueuse il repoussa ceux qui les gardaient jusqu’à la Porte-Romaine, tandis que Prospero Colonna avec les lansquenets, le cardinal de Sion avec les Suisses, y pénétrant d’un autre côté, arrivèrent, sans rencontrer beaucoup de résistance, en face de la porte du Tessin. Les Français et les Vénitiens s’apprêtaient à défendre l’enceinte de la ville, contre laquelle les confédérés allaient tourner leurs canons ; mais ils n’en eurent ni le temps, ni le moyen, ni le courage. Les Milanais, se soulevant aux cris de vive l’empire ! vive l’église ! vive le duc Francesco Sforza ! jetèrent le trouble parmi les Français et les Vénitiens, qui s’enfuirent, et ils poussèrent à assaillir la ville les Espagnols, les lansquenets et les Suisses, qui ne songeaient d’abord qu’à s’établir dans les faubourgs. Par des voûtes souterraines qui conduisaient les eaux de l’intérieur dans les fossés des remparts et par les portes qui leur furent ouvertes, les soldats de Pescara et de Prospero Colonna se précipitèrent dans Milan, qu’ils gagnèrent presque sans effort[3]. Les Français perdirent en une seule nuit cette capitale importante et ambitionnée du duché que la

  1. Guicc. Lib. XIV, et Cronaca Grumello, mss. Belgiojoso, citée dans Verri, t. II, p. 184.
  2. Sur toute cette guerre, Guicc. Lib. XIV ; Martin Du Bellay, p. 345 à 361 ; P. Giovio, Vita Leonis X, Vita Pescarœ ; Galeatii Capellæ, De Bello Mediolanensi seu de rebus in Italia gestis pro restitutione Francisci Sfortiœ II, Mediolanensium ducis ab anno MDXXI ad MDXXX, lib. XIII ; dans le t. II de Joannis Georgii Grævii, Thesaurus antiquitatum et historiarum Italiœ, Lugduni-Batavorum, 1704 ; Belcarius, lib. XVI.
  3. Littera illustrissimi marchionis Mantuæ ad illustrissimam marchionissam Mantuæ die 21 nov. 1521, et lettre du 19 au soir et du 20 au matin écrite par le cardinal Jules de Médicis ; l’une et l’autre dans les chroniques de Sanuto, Archives impériales de Vienne, et imprimées dans l’appendice du sixième volume de l’Histoire d’Allemagne pendant la Réformation de L. Ranke, p. 57, 58, 59.