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ÉTUDES D’HISTOIRE PRIMITIVE.

pire, en se procurant ces instrumens dont il arme progressivement ses mains et son esprit. Et de fait, les sciences ne sont qu’une espèce d’outils à l’usage de l’intelligence : ce sont de véritables machines de plus en plus puissantes, par lesquelles on pénètre dans les propriétés de la matière, on reconnaît les phénomènes et l’on saisit dans leur agence les forces naturelles. Alors, maître de tant de secrets des choses, possesseur de ce feu symbolique que livra Prométhée, le genre humain fait deux parts du trésor accumulé : aux uns il le livre pour qu’ils se satisfassent dans la contemplation spéculative, entretenant et augmentant ces hautes connaissances ; aux autres, pour qu’ils transforment en toute sorte d’applications le savoir abstrait.

Ce qui est à la fin n’a pu être au commencement, et l’homme antédiluvien débutait dans la série des inventions dont le germe reposait en son intelligence. Il y a, dans une célèbre ballade de Schiller, de beaux vers où il peint le hardi plongeur qui est allé chercher la coupe d’or, se voyant avec terreur si loin de tout secours, le seul être sentant parmi les monstres de l’abîme, seul sous les vastes flots, seul dans les antres sourds et tout entouré des bêtes dévorantes qui peuplent ces demeures[1]. L’homme primitif, tout sauvage qu’il était, tout approprié qu’il se trouvait à ses conditions d’existence, éprouva sans doute quelque confus sentiment de sa position vis-à-vis la nature tant inanimée que vivante, et il mit la main à l’œuvre. Nous n’avons point certainement la collection des outils qu’il se fabriqua ; mais, la nécessité des instrumens se faisant spontanément sentir, où les prendre? Alors, avec une industrie sur laquelle ses descendans ne doivent pas jeter un regard dédaigneux, et qui est le commencement des découvertes ultérieures, il choisit les cailloux les plus durs, il les frappa l’un contre l’autre, et finit par faire des haches et des couteaux qui étendirent notablement son empire. Les premiers ouvriers qui réussirent dans cette fabrique furent les pères du travail. Avec cela, on put couper les arbres, façonner le bois, fouir la terre, devenir redoutable même à de grands animaux, et sans doute guerroyer de tribu à tribu. C’était l’âge de pierre.

L’âge de pierre se continua chez l’homme postdiluvien. Soit que les races humaines d’alors aient toutes péri et qu’elles aient été remplacées plus tard par de nouvelles espèces, soit, ce qui est possible, qu’elles aient en partie traversé la période de rénovation, tou-

  1. Und da hieng ich, und war’s mir mit Grausen bewusst.
    Von der menschlichen Hülfe so weit,
    Unter Larven die einzige fühlende Brust,
    Allein in der græsslichen Einsamkeit,
    Tief unter dem Schall der menschlichen Rede
    Bei den Ungeheurn der traurigen Oede.