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tout y paraît muable. Nous vivons sur la foi, je ne dirai pas de notre soleil, dont les changemens nous sont dérobés par son immense éloignement et son énorme grosseur ; nous vivons sur la foi de notre terre qui nous porte, et de notre atmosphère qui nous abrite, et pourtant ce n’est encore qu’une tente d’un jour.

La succession des terrains superposés, les débuts de la vie dans les plus anciens, l’apparition dans chacun d’eux d’organisations dissemblables, portèrent plusieurs zoologistes à établir comme une loi de la paléontologie que les êtres vivans étaient soumis à un perfectionnement graduel. Non pas que les espèces d’alors fussent plus imparfaites que celles d’aujourd’hui : elles sont, si on les considère en elles-mêmes, toutes aussi parfaites les unes que les autres, c’est-à-dire toutes suffisamment disposées pour se perpétuer ; mais on veut dire que, s’élevant des profondeurs à la superficie, on rencontre des types de plus en plus éminens, c’est-à-dire de plus en plus compliqués d’organisation et pourvus de facultés. Ainsi une série régulière et bien ordonnée se déroulerait depuis les premiers âges, dans laquelle le terme précédent serait une sorte d’ébauche par rapport au terme conséquent. Ce n’est point là l’expression de la réalité, et, sous cette forme, l’idée du perfectionnement graduel est en contradiction avec les faits. L’étude montre de grandes et incontestables irrégularités. Les singes, qui sont plus parfaits que les autres animaux et plus imparfaits que l’homme, devraient occuper, dans la série des terrains, une situation intermédiaire, et pourtant on les trouve déjà dans les terrains tertiaires anciens. Les invertébrés, moins parfaits que les vertébrés, devraient leur être antérieurs, et pourtant on trouve des vertébrés (à la vérité ce sont des poissons) à côté des premiers invertébrés. Il y a donc des confusions, des empiétemens, et, au lieu de se suivre, les créations, en bien des points, se juxtaposent. Cela est vrai ; cependant il est vrai aussi que, dans l’ensemble, il y a une évolution incontestable depuis les végétaux primitifs jusqu’à l’homme, et une série, si l’on considère seulement quelques grands termes qui ne souffrent pas d’interversion : plantes, animaux, vertébrés supérieurs et homme. Ces considérations s’appliquent exactement à ce qu’on nomme l’échelle des êtres ; il est certain qu’on ne peut ranger bout à bout toutes les espèces vivantes (plantes et animaux) de manière que la supérieure soit constamment plus parfaite que l’inférieure. D’immenses exceptions, tant végétales qu’animales, ne permettent pas de considérer ainsi les choses, et il faut reconnaître qu’en bien des points plusieurs séries deviennent parallèles et ont des rapports simultanés d’infériorité et de supériorité. Si cela ne peut être nié, on ne peut nier non plus que végétalité, animalité et humanité forment trois termes qui donnent une grande et véritable série. L’idée vient, quand on considère dans leurs ana-