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toutes les langues, des docteurs comme Luis Vivès, qui précéda Bacon dans la voie de l’observation philosophique. Le mathématicien Ciruclo était appelé de Salamanque à Paris pour professer. Comment s’est réalisée la décadence de cet enseignement?

Cette décadence a été complète, et elle s’explique par des causes multiples qu’on peut trouver, soit dans l’esprit du temps, soit dans les circonstances politiques, soit encore dans l’organisation même des universités. M. Gil y Zarate montre clairement la première de toutes ces causes, la prédominance exclusive et absolue de l’esprit théocratique se servant de la scolastique pour tout immobiliser, la science humaine aussi bien que le dogme, ce qui s’accroît incessamment par l’étude aussi bien que ce qui est invariable. Il se noua un formidable réseau dans lequel la vie fut étouffée. Toute pensée périt en son germe; les sciences furent désertées. Il ne resta plus qu’un enseignement mécanique, réduit à de simples lectures ou à des argumentations subtiles et hérissées de formules. Lorsque, dans le courant du XVIIIe siècle, on voulut restaurer l’instruction publique, Salamanque répondit fièrement par le mot de l’Écriture : « Non erit in te Deus recens! Tu ne reconnaîtras pas le Dieu nouveau! » Salamanque en était toujours au XIIIe siècle. Une autre cause de la décadence des universités est sans nul doute dans l’organisation du professorat. Le professorat n’était pas une carrière ; il était fort précaire, comme on l’a vu, et de plus fort mal rétribué. Souvent les professeurs étaient réduits à se débattre avec les écoliers pour le paiement de leurs droits. Il y eut incontestablement à une certaine époque des maîtres illustres; bientôt ils disparurent. Les professeurs titulaires qui restaient se faisaient remplacer par de pauvres suppléans, quelquefois par de simples étudians, et enfin, dans cette indépendance dont elles jouissaient, les universités trouvèrent un piège. Cette liberté, mal dirigée, jeta le désordre et l’incohérence dans l’administration, et parmi les étudians la vie picaresque ne tarda pas à l’emporter sur la vie sérieuse. Bien que les fêtes fussent innombrables en Espagne et assurassent de fréquentes vacances, les étudians avaient fini par trouver un fort singulier moyen d’augmenter le nombre des jours où ils ne travaillaient pas : ils avaient découvert le jour de barbe. C’était un jour férié de plus consacré au repos! On distribuait encore des grades, mais bien évidemment il n’y avait plus d’enseignement.

Une première fois, au XVIIIe siècle, en 1771, les hommes d’état éminens du règne de Charles III songèrent à réformer les universités et se mirent à l’œuvre. A son apparition, le régime constitutionnel voulut aussi renouveler l’instruction publique. Ces tentatives peu suivies, inefficaces et toujours interrompues, ne servirent qu’à attester le mal en accroissant le désordre. Lorsqu’une sérieuse et décisive réforme commença en 1845, rien n’était plus misérable que l’état des universités. Les biens de ces grands établissemens avaient été dilapidés, les édifices étaient en ruines. Quant à la partie morale, on voyait quelquefois des années de service militaire comptées comme des années d’université, et des études de théologie servir pour les cours de médecine. Pour favoriser sans doute quelque opération de librairie, le Télémaque de Fénelon était signalé comme un livre élémentaire de droit, et M. Zarate raconte avoir vu un programme d’après lequel le profes-