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Une grande heure dans cette vie était celle du doctorat, qui ne sonnait pour les plus favorisés qu’après sept ou huit années passées à l’université. La solennité de la réception durait plusieurs jours; elle se terminait par des cérémonies religieuses et des réjouissances. L’investiture était faite par le chancelier, qui remettait en grande pompe au candidat le bonnet, l’anneau, les gants blancs, l’épée et les éperons dorés ; puis on sortait en procession, au son des cloches, insignes déployées, bedeaux, alguazils et massiers en tête. La ville tout entière était de la fête; les femmes agitaient leurs mouchoirs sur les balcons. Il y avait des distributions pour la multitude. La cérémonie finissait par un grand banquet et par des courses de taureaux. Le soir, le pauvre docteur qui avait contribué à ces réjouissances avait la bourse vide, sans compter qu’avant sa réception il avait été obligé de donner en cadeau à chacun de ses examinateurs trois paires de poules, avec une caisse d’écorce de citron confite. Beaucoup d’étudians n’arrivaient pas à de si coûteux honneurs; ils demeuraient simples bacheliers ou s’arrêtaient à la licence.

A travers ces détails et bien d’autres encore, qui n’ont fait que s’exagérer dans le déclin des universités espagnoles et qui ont servi de texte à tant d’iliades picaresques, la puissance de cet enseignement ainsi organisé n’était pas moins réelle ; une sérieuse animation intellectuelle était répandue partout. Qu’on se représente ces grands centres d’instruction et d’activité intelligente, Salamanque, Alcala de Henarès. Salamanque a pu être justement considérée comme un des principaux foyers des lumières en Europe ; elle marchait de pair avec Paris, Oxford et Bologne. Elle apparaissait comme une matrone des sciences et des lettres, avec ses vingt-sept collèges et ses vingt-sept couvens presque tous attachés à l’université, avec ses sept mille étudians et ses illustres professeurs, comme Luis de Léon, le docteur-poète qui, après avoir été persécuté par l’inquisition, après avoir subi cinq années de captivité, remontait dans sa chaire demeurée vacante et reprenait son cours, comme s’il eût été interrompu la veille, en prononçant ces premiers mots: «Je vous disais hier... » L’université d’Alcala, moins ancienne que celle de Salamanque et créée une seconde fois pour ainsi dire par le cardinal Ximenès de Cisneros, n’eut pas moins d’éclat. Il y avait à Alcala quarante-deux chaires, dont six de théologie, six de droit canon, quatre de médecine, deux d’anatomie et de chirurgie, huit pour les arts, une de philosophie morale, une de mathématiques, quatorze pour les langues, la grammaire et la rhétorique. Les étudians étaient au nombre de trois mille. Le cardinal Cisneros ne s’était pas contenté de doter généreusement l’université d’Alcala; il la protégeait d’une affection spéciale; il lui avait confié les trophées de la conquête d’Oran, et c’est là qu’il voulut avoir son tombeau. Après Salamanque et Alcala de Henarès venaient Valladolid, Séville. Valence, Saragosse, Barcelone, Santiago, Lérida. Dans toutes ces universités vivaient nombre d’hommes éminens, des théologiens, des jurisconsultes, des médecins, des lettrés, des astronomes. Le système de Galilée, poursuivi en Italie, trouvait faveur à Salamanque. Moment merveilleux, ainsi que le dit M. Zarate ! A côté de ses soldats qui parcouraient l’Europe et de ses hommes d’état, l’Espagne avait alors des savans versés dans l’étude de