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Les étudians ne payaient aucun droit pour tout ce qui leur était nécessaire, et même, chose plus particulière, ces immunités avaient fini par s’étendre à tous ceux qui se rattachaient d’une façon quelconque à l’université ou qui en vivaient, fût-ce au degré le plus inférieur. Le maître de maison et le domestique étaient arrivés à s’incorporer à l’université. A une certaine époque, il y eut à Salamanque dix-huit mille personnes inscrites comme jouissant des immunités universitaires. Ce n’est point sans raison que M. Zarate représente ce monde des universités comme formant une société à part au sein de la société civile du temps. Tous ces écoliers se répandaient dans les villes et se distribuaient par groupes; ils avaient leurs chefs et leurs députés; ils s’enrégimentaient, toujours prêts à entrer en bataille, et volontiers ils imposaient leurs goûts et leurs mœurs.

Le caractère démocratique des universités espagnoles apparaît dans des faits multipliés et d’une plus intime signification sociale. En ces temps reculés, on ne peut chercher ce qui s’est appelé depuis l’instruction primaire, c’est-à-dire un enseignement mis à la portée des plus humbles classes de la nation. Il y avait à peine quelques écoles perdues. L’instruction secondaire elle-même n’existait pas comme on la comprend aujourd’hui. Tout se résumait dans les universités, mais les universités étaient libéralement ouvertes aux enfans du peuple par des dotations et des bourses instituées en leur faveur, par les secours de tout genre qui allaient au-devant d’eux. Il fut un temps où plus de cinq cents étudians pauvres vivaient à l’université d’Alcala. Le collège dit le grammairien comptait cinquante bourses, le théologique en avait soixante-douze, le philosophique cinquante, le trilingue douze. Il en était de même partout. Il y avait deux sortes d’étudians : les uns étaient dans les nombreux collèges appartenant aux universités et se distinguaient par une partie de leur vêtement appelée la beca, nom qui est resté attaché à la bourse même dont jouissait l’écolier. Les étudians libres s’appelaient des manteistas, du nom de l’habit, cape ou manteau, qui leur servait d’uniforme. C’était un vêtement de laine brune, et on n’en est pas à savoir que la vétusté de l’habit était une grande marque de distinction pour l’étudiant, qui comptait son ancienneté par les trous de son manteau. Les étoffes de soie étaient rigoureusement prohibées, aussi bien que tout ce qui pouvait rappeler une supériorité de classe. Toute distinction spéciale disparaissait sous la cape de l’étudiant. Les manteistas vivaient dans des maisons particulières, et beaucoup, pour rester à l’université, étaient obligés de recourir à d’autres travaux, même à des services de domesticité. Les plus favorisés trouvaient une place de page chez un évêque ou quelque autre personnage de marque ; ils vivaient ainsi, et acquéraient des protecteurs qui leur ouvraient une carrière. D’autres, plus pauvres, plus insubordonnés ou moins laborieux, se contentaient des distributions qu’on leur faisait dans les couvens; on les appelait les étudians de la soupe. Cela formait une bohème errante, dont n’étaient pas exclus des fils de famille qui auraient pu mieux vivre, et qui préféraient les douceurs de cette existence picaresque. Les études continuaient ainsi tant bien que mal ; les cours commençaient tous les ans le 18 octobre, jour de Saint-Lucas, et ils étaient interrompus par beaucoup de vacances.