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ESSAIS ET NOTICES.
L’INSTRUCTION PUBLIQUE EN ESPAGNE.
De la Instruccion publica en España, por don Antonio Gil y Zarate; 3 vol., Madrid.


Le meilleur moyen d’apprécier la nature et la portée d’une révolution n’est pas de l’observer dans cette succession de crises de pouvoir et de mouvemens alternatifs qui ne font le plus souvent qu’agiter un pays sans le renouveler; il faut la suivre dans ce travail intime et universel qui embrasse les idées, les mœurs, les usages, les institutions civiles, les relations des classes, les systèmes d’administration. Là se révèle la vraie mesure de ces grands mouvemens de transformation qui, selon leur caractère et le degré de leur maturité, descendent rapidement jusqu’au plus profond de la vie sociale, ou restent à la surface et se prolongent indéfiniment sans se fixer. Le monde est plein de révolutions qui semblent irrésistibles dans leur cours et qui se bornent à des changemens extérieurs ou à des substitutions de personnes, qui ont l’air de tout bouleverser et dont les plus simples conséquences ont une peine extrême à se traduire en faits palpables et pratiques. L’histoire contemporaine de l’Espagne est un tissu de ces contradictions apparentes à travers lesquelles on aperçoit un phénomène étrange, l’impopularité des innovations. Il y a eu au-delà des Pyrénées plusieurs révolutions, des soulèvemens sans nombre, des guerres civiles, des guerres dynastiques; l’Espagne a vu se succéder trois ou quatre constitutions politiques, passer vingt ministères, avant qu’une main hardie ait osé toucher aux élémens essentiels de la vie organique du pays. Il était plus facile d’imposer un moment en 1836 une résurrection éphémère de la constitution de Cadix que de rajeunir les mœurs publiques, de créer un esprit nouveau, de triompher tout à coup de traditions séculaires, d’habitudes administratives invétérées. En 1840, une simple loi sur les municipalités provoquait une sédition devenue bientôt une révolution, et la loi, qui était un vrai progrès pourtant, était ajournée jusqu’à une révolution nouvelle. Lorsqu’on a voulu substituer à la confusion des contributions anciennes un système tributaire plus rationnel et mieux coordonné, il a fallu livrer bataille. Il n’y a pas bien longtemps encore, après vingt changemens dans l’ordre politique, il existait des impôts datant de Charles-Quint.

Ce n’est enfin qu’il y a dix années, et même un peu plus, qu’on a commencé à s’occuper sérieusement de l’instruction publique, à peu près abandonnée jusque-là, ou du moins réglée par des lois contradictoires qui restaient sans exécution, et l’un des ouvriers les plus zélés, les plus intelligens de cette réforme commencée en 1845 a été M. Gil y Zarate, poète dramatique éminent, auteur d’un remarquable Manuel de littérature et administrateur habile, qui a été pendant longtemps directeur de l’instruction