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A côté des conservateurs et des réformistes russes, c’est à peine si l’on doit citer la petite coterie littéraire des starophiles, ou vieux Russes, qui combine un culte fanatique pour les traditions nationales avec un mysticisme nuageux d’origine visiblement germanique. C’est plutôt l’attitude des paysans et des ouvriers russes qu’il faudrait préciser pour avoir une idée complète du mouvement actuel. Or cette attitude est complètement d’accord avec la réputation de douceur et de résignation que s’est faite le peuple russe. Les sectaires seuls font exception, et c’est, il faut l’avouer, une force assez redoutable qu’une population d’environ huit millions d’hommes (si l’on en croit des témoins dignes de foi) généralement hostiles au pouvoir par cela même qu’ils rejettent l’autorité de l’église orthodoxe. On prépare heureusement quelques mesures qui auraient pour effet de calmer l’effervescence de cette portion, d’ailleurs singulièrement intelligente, du peuple des campagnes, et les sectaires cesseraient d’offrir par leur turbulence un contraste regrettable avec les autres paysans. Telle qu’on peut l’entrevoir en somme, la situation de la Russie explique la politique du gouvernement russe, à la fois favorable aux réformes et disposé à n’avancer qu’avec prudence. Quelques esprits ardens lui reprochent sa lenteur; mais on a pu reconnaître que pour atteindre un but vers lequel tendent tous ses efforts, l’empereur doit refouler devant lui une masse compacte de récalcitrans qui ont tout à perdre aux changemens projetés. Comment ne tiendrait-il pas compte de cette opposition désespérée, et ne voudrait-il pas éviter, par de trop brusques innovations, de la pousser à de monstrueux excès? Une saine politique commande au gouvernement russe de grands ménagemens. On ne réforme pas les mœurs et les institutions d’un pays en quelques jours, et si le nouveau souverain pouvait borner l’œuvre de son règne à l’affranchissement des serfs, il aurait encore une belle page dans l’histoire.

Dans un moment où les ministères de différens pays ont à traverser des épreuves d’où ils ne sortent pas tous victorieux, comme le prouve ce qui se passe en Angleterre, la Hollande à son tour vient d’être presque menacée tout à coup d’une crise ministérielle. Seulement il n’y a ici rien de politique. Ce sont des questions d’un ordre purement économique et matériel qui ont produit cette sorte d’ébranlement momentané du cabinet de La Haye. En un mot, il s’est trouvé que, dans plusieurs discussions récentes des chambres, le gouvernement hollandais a éprouvé des échecs successifs auxquels il ne s’attendait peut-être pas. La première question qui est venue lui révéler les difficultés nouvelles de sa situation a été celle de la réforme des impôts, qui a été l’objet d’un débat prolongé. Le gouvernement avait présenté, comme on sait, un plan complet tendant à venir en aide aux grandes communes en augmentant leurs ressources. Pour atteindre ce but, le ministre des finances, M. Vrolik, proposait de modifier le système des contributions personnelles, de changer différentes dispositions de la loi communale, d’augmenter les droits de succession et de reviser la loi relative aux accises sur les boissons. Les esprits étaient déjà fort divisés sur l’obligation morale de l’état de subvenir aux besoins des grandes communes; ils l’étaient peut-être un peu moins sur l’opportunité d’une réforme dans la situation financière actuelle du pays, qui ne laisse point d’être prospère, bien que cependant on pût alléguer