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ciale, ce qu’on cherchera, dis-je, ce sera de circonscrire de plus en plus le terrain où se sont passés les phénomènes d’origine, et d’arriver, s’il est possible, au point où un pas de plus, qui est absolument interdit, conduirait hors de l’expérience. En ceci, la paléontologie est d’un puissant secours ; elle ouvre de vastes aperçus. Certes Cuvier, qui le premier en a embrassé le système, a dû sentir les joies pures et profondes de l’intuition, quand, réveillant la poudre des générations dissemblables, il a pu les compter l’une après l’autre et s’émerveiller que l’écorce de la terre renfermât tant de mondes éteints. Et nous qu’il a introduits à ce grand spectacle, ce n’est pas sans émotion et sans recueillement que nous nous penchons sur le gouffre de ces âges, marqués chacun d’un jalon, et que nous sentons passer sur nous le frisson de l’immensité.

Il est certain, quelle que soit la cause du phénomène, que toutes les espèces d’animaux qu’on trouve à l’état fossile ont eu une durée géologique limitée. Il ne faut pas croire que les espèces les premières créées, et qui appartiennent aux terrains les plus anciens, existent encore parmi nous. Il n’en est rien ; elles sont anéanties. Nous n’avons point, sur la surface actuelle de la terre, des animaux dont les aïeux remontent, de génération en génération, jusqu’aux âges où la vie commence d’apparaître. Aucun ne peut se vanter d’une noblesse aussi antique, et tous ceux qui vivent présentement sont de maison relativement récente. Celles d’entre les espèces qui naquirent dans les couches profondes gardèrent d’abord, les unes plus, les autres moins, leur permanence, et se conservèrent dans quelques-unes des couches qui succédaient ; mais les changemens passaient les uns après les autres sur la face de la terre, les conditions d’existence se modifiaient, et, les milieux devenant de plus en plus impropres à ce qui avait pris naissance dans les circonstances les plus anciennes, une mort définitive les balayait des continens et des mers. Réciproquement, et par la même raison, ni les espèces actuelles, ni celles qui les ont immédiatement précédées, n’ont de racines dans les antiquités géologiques.

Il suit de là, comme un corollaire, que quand un type a péri, et que le monde qui suivait ne l’a pas reproduit, c’en a été fait de lui, il n’a plus reparu. En d’autres termes, une interruption dans l’existence, à travers les passages d’un monde à un autre, n’est jamais réparée. Le genre éléphant, si abondant à l’époque diluvienne, s’est perpétué dans l’époque présente ; mais si, ce qui n’est pas, il eût appartenu à l’époque tertiaire, et qu’il eût été sans représentans dans l’époque diluvienne, il n’existerait pas non plus aujourd’hui, et il compterait parmi les genres éteints. C’est la loi des milieux qui règle tout cela. Un genre passe d’un étage à l’autre et continue à subsister, s’accommodant aux nouvelles modifications, si elles ne sont