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jourd’hui que par le passé, nous en demeurons bien convaincus pour notre part. Ceux qui d’une main légère fabriquent ces merveilleuses nouvelles pour les lancer dans le monde ne soupçonnent pas quelles questions ils soulèvent, ils ne comprennent pas le sens de l’interdiction ancienne dont ils parlent, ils ne voient pas qu’il n’y a rien d’exact dans l’assimilation qu’ils établissent, et en définitive ils mettent au compte du gouvernement un projet qu’il n’a pas eu, qu’il n’a pas pu avoir, par la raison bien simple qu’il agirait contre lui-même en se créant sans motif des difficultés qu’il lui est si facile de s’épargner.

Certainement, pour tous les esprits conservateurs, l’état a le droit de s’informer de ce qu’un militaire peut écrire sur des opérations de guerre, sur l’organisation des forces publiques; un diplomate qui a pris part à des négociations n’est pas seul maître de son secret, même quand il n’a plus dans les mains la direction d’une affaire ; un fonctionnaire qui assiste aux délibérations intimes des pouvoirs publics et de l’administration ne dispose pas de sa propre autorité de tout ce qu’il sait. Il y a là une règle bien facile à saisir, qui est de tous les temps, parce qu’elle est dans la nature des choses, et qui s’applique à des faits tout spéciaux relatifs aux fonctions qu’on occupe; mais imagine-t-on le rôle étrange, presque puéril, qu’on donnerait à un gouvernement en le faisant intervenir pour autoriser un militaire à publier un roman, un diplomate à raconter ses voyages, un fonctionnaire quelconque à écrire des travaux d’histoire, de philosophie, d’économie politique, de littérature? Un membre de l’Institut qui aurait en même temps un emploi de l’état serait-il soumis à l’autorisation préalable? Un professeur qui a conquis sa position par une série d’épreuves, à des conditions déterminées, et qui trouve dans son titre une sorte de propriété, serait-il obligé de se faire autoriser pour mettre au jour ses leçons, pour livrer à la publicité les résultats de ses études de tous les momens ? On irait fort loin si l’on voulait énumérer toutes les anomalies qui en pourraient résulter, surtout dans un pays comme la France, où les emplois publics sont nombreux, et voilà pourquoi justement il n’y a que des esprits irréfléchis qui puissent prêter au gouvernement cette pensée de surveillance universelle qui atteindrait le fonctionnaire en dehors même de ses fonctions, dans ce qu’il a de plus personnel, tout en créant pour l’état du reste la plus singulière, la plus compromettante des responsabilités.

Car enfin, qu’on y songe un instant : là où l’état est directement intéressé, rien n’est plus simple que de tracer au fonctionnaire écrivain la mesure dans laquelle il peut parler; l’état est dans son droit, et il sait ce qu’il fait. En dehors de ce domaine réservé et défini, tout est vague et périlleux. Que ferait-on? Une autorisation ressemblerait toujours à une approbation implicite des doctrines émises dans un livre et soutenues par un fonctionnaire. Le refus d’autorisation équivaudrait à une condamnation administrative, outre qu’il enlèverait à un homme le premier des droits, celui de manifester sa pensée. L’état prendrait couleur dans les mêlées de l’esprit; il aurait ses doctrines historiques, philosophiques, littéraires, économiques. Il serait responsable de tout, ou il le paraîtrait, n’en doutez pas. Les inventeurs de ces prétendus projets savent bien peut-être ce qu’ils font. Ils ne