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noncées sur l’avis collectif des autorités administrative, judiciaire et militaire. De plus, le corps législatif a voulu ôter à la partie politique de la loi le caractère de la permanence dans nos codes, et il a fixé que les pouvoirs accordés au gouvernement cesseraient en 1865, dans sept ans. Enfin on pourrait, ajouter encore une fois que le président du corps législatif, rapporteur de la loi, et les orateurs du gouvernement ont répété, comme cela avait été déjà dit par le journal officiel, que les mesures actuelles étaient dirigées uniquement contre ceux qui conspiraient, contre ce qu’on a nommé l’armée du désordre. Le gouvernement est donc investi aujourd’hui des facultés qu’il demandait contre cette armée ; mais au-dessus de ces mesures nouvelles récemment adoptées, et qui sont désormais des actes officiels, il y a un fait frappant, tout moral pour ainsi dire, et singulièrement propre à caractériser une situation. Quelle est la raison invoquée par le gouvernement pour demander des pouvoirs exceptionnels? C’est le danger incessant que créent pour l’ordre universel les armées secrètes de l’anarchie. Quel est le sentiment qui domine dans une partie de la société? C’est la crainte de ces mêmes armées des socialistes, des rouges, puisque le mot est passé dans la langue politique. Tel est l’effet que produisent ceux qui n’ont que des projets de destruction et des menaces à offrir sous le nom de démocratie et de progrès. Toutes les fois qu’ils se montrent, ils effraient; ils ne laissent place qu’à un seul instinct, celui de la conservation, et le souvenir de ce qu’ils peuvent tenter ou exécuter est le plus grand ennemi d’une vraie et honnête liberté. Le danger existe sans doute, puisque le gouvernement croit devoir s’armer contre lui, et que la société en a par instans le vague pressentiment; mais qu’en faut-il conclure ? C’est que la société elle-même doit travailler à sa propre défense. Elle a tout pour elle. Si elle est faible, c’est qu’elle s’abandonne. En regardant son ennemi en face, elle doit retrouver en elle-même l’intime et virile assurance qu’elle ne peut être à la merci des surprises et des événemens fortuits. Pour notre part, c’est ce sentiment viril que nous voudrions voir se développer et grandir dans la société, car alors il pourrait y avoir encore des épreuves, il n’y aurait plus ces alternatives qui font de la vie d’un pays une succession d’accès de fièvre et de défaillances.

C’est le propre de certaines situations et de certaines époques de donner carrière à tous les bruits, à toutes les hypothèses, à toutes les interprétations. Il y a une multitude d’esprits sans cesse à la recherche de ce qui se fera et de ce qui ne se fera pas, du possible et de l’impossible, ou de l’invraisemblable. La réalité ne leur suffit pas, il faut le croire, et ils prêtent aux gouvernemens tout ce qu’ils imaginent eux-mêmes. N’avez-vous pas vu récemment une de ces rumeurs voyageuses passer à travers l’Europe, s’arrêter un instant dans les journaux allemands, puis revenir s’abattre dans nos journaux de province, toujours sous l’autorité de ce personnage anonyme qu’un écrivain espagnol d’autrefois appelait « l’autre, » ou « une personne bien informée, » ou bien encore «je ne sais qui?» Il ne s’agissait de rien moins, disait-on, que d’étendre à tous les fonctionnaires publics de France une règle, jusqu’ici toute spéciale, qui fait un devoir aux militaires de ne rien écrire sans l’autorisation du gouvernement. C’est un vieux bruit que nous pourrions reconnaître au besoin, et qui n’est pas plus fondé au-