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talité britannique et se transforment en artisans de meurtre. Lord Palmerston, de son côté, n’a point eu de peine à prouver que le projet présenté par lui ne touchait en rien au droit d’asile, et n’avait aucun des caractères d’un alien-bill. C’était une loi pénale également applicable aux sujets anglais et aux étrangers. Mais le point vulnérable était découvert : lord Palmerston n’avait pas répondu à la dépêche du gouvernement français. On avait trouvé le terrain du combat, et sur ce terrain se sont rencontrés, venant de points différens, M. Disraeli, M. Gladstone, lord John Russell, M. Roebuck lui-même. Tories, libéraux, radicaux, peelites, ont fait le succès de la motion de M. Milner Gibson, votée à une majorité de quelques voix. Lord Palmerston s’est défendu jusqu’au bout avec une verve que l’âge ne refroidit pas, et qui s’est exercée cruellement contre ses adversaires; il n’a pu éviter une défaite à laquelle peut-être il ne s’attendait pas. Que devait-il résulter de là? Le cabinet a immédiatement offert sa démission à la reine. Or, dans les circonstances actuelles, lord John Russell ne pouvait guère recueillir la succession qui s’ouvrait; ce sont donc les tories qui ont été appelés au pouvoir. Le comte de Derby est aujourd’hui premier lord de la trésorerie. Il a essayé un moment de s’entendre avec quelques-uns des principaux peelites, notamment avec M. Gladstone; il n’a pu réussir dans ses tentatives d’alliance, et dès lors il n’a plus songé qu’à former un cabinet entièrement conservateur, où figure naturellement M. Disraeli, comme chancelier de l’échiquier, à côté du comte de Malmesbury, qui est ministre des affaires étrangères, et de lord Ellenborough, sir Frédéric Thesiger, M. Henley, M. Walpole. Telle est la situation, si complètement transformée en quelques jours.

C’est une situation, il faut le dire, qui ne laisse point d’être singulière et d’avoir encore ses obscurités. Lord Palmerston a disparu pour le moment, il est vrai, dans la dernière mêlée parlementaire; mais le bill qu’il avait présenté a-t-il disparu également? C’est un point qui reste à éclaircir, qui est discuté chaque jour en Angleterre. Le fait est que le succès de la motion de M. Milner Gibson ne semble pas impliquer absolument au fond le rejet d’une mesure sur laquelle la chambre des communes n’a pas eu à se prononcer. La combinaison parlementaire qui a triomphé paraît avoir consisté justement à frapper le dernier cabinet sans préjuger le sort du bill lui-même. Dans tous les cas, le bill fût-il retiré, ou modifié, ou remplacé par une proposition équivalente d’un autre genre, il est une question que tous les principaux orateurs se sont efforcés d’élever au-dessus de la discussion et de ne point compromettre dans cette échauffourée des partis : c’est le maintien de l’alliance avec la France. M. Milner Gibson lui-même a protesté contre toute intention de jeter des embarras dans les relations des deux pays. Lord Derby, lorsqu’il a parlé, il y a quelques jours, dans la chambre des pairs, et M. Disraeli plus récemment, se sentaient trop près du pouvoir pour ne point témoigner le prix qu’ils attachent à une alliance qui a été jusqu’ici une garantie pour la paix et pour la civilisation du monde. La composition même du cabinet actuel d’ailleurs éloigne toute pensée d’une politique contraire à un système de bonne intelligence. Quelles que soient donc les dernières péripéties parlementaires, les rapports entre l’Angleterre et la France ne sont pas menacés, il faut le croire, et sur ce point le nou-