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gés de concert et acceptés de part et d’autre, un acte officiel et authentique, imposant à la Chine des obligations sérieuses et conférant à la France des droits incontestables. Il fut stipulé que désormais les Chinois chrétiens pourraient se livrer aux pratiques de leur culte, et que les missionnaires étrangers qui seraient arrêtés dans les régions de l’empire dont l’accès est interdit aux Européens seraient purement et simplement reconduits dans l’un des ports, devant leur consul, et non plus, comme par le passé, traînés devant les tribunaux indigènes, pour y subir de cruelles persécutions. Tels sont, en résumé, les engagemens pris par Ky-ing, et pour peu que l’on tienne compte des préjugés du gouvernement de Pékin, des erremens de sa vieille politique, des craintes que devaient jusqu’à un certain point lui inspirer les promenades obstinées et mystérieuses des missionnaires catholiques à travers toutes les provinces, on ne saurait méconnaître l’importance de la concession si péniblement arrachée par le plénipotentiaire français aux longues hésitations du diplomate chinois. Je n’ignore pas que l’on a cherché à diminuer singulièrement le mérite de cette négociation, qui, selon certaines critiques, n’aurait point eu de résultat favorable pour le catholicisme, les mandarins s’étant abstenus de publier et par conséquent d’exécuter l’édit rendu sur la proposition de Ky-ing, et de nombreux faits de persécution s’étant produits à l’intérieur de la Chine, malgré les protestations des chrétiens. À ces argumens, qui ont été présentés dès l’origine pour démontrer la prétendue inefficacité des négociations de 1845, on pourrait malheureusement ajouter aujourd’hui la mort de deux missionnaires catholiques, récemment condamnés par les tribunaux chinois; mais il serait peu équitable d’apprécier d’après ces faits seulement les efforts de l’ambassade française et les résultats qu’elle a obtenus.

En premier lieu, il n’est point exact que l’édit de 1845 soit complètement demeuré sans exécution. Pendant quelques années au moins, on n’a plus entendu parler de persécutions sérieuses ; les Européens qui ont visité la Chine ont pu voir des communautés chrétiennes respectées et florissantes dans les districts voisins des ports, et la croix s’élevant en liberté sur des églises catholiques. Si, dans les provinces de l’intérieur, loin des regards et de la protection des consuls, quelques actes de persécution ont été commis par des mandarins fanatiques ou plutôt (car le fanatisme religieux n’existe guère en Chine) par des subalternes ignorant les lois récentes, ces actes regrettables ont été rares, purement locaux ; les représentations adressées alors au vice-roi de Canton par le ministre de France ont rencontré un accueil convenable, et provoqué pour ainsi dire une consécration nouvelle du droit que redit de 1845 avait accordé aux chrétiens. Les missionnaires eux-mêmes, qui, en dépit des lois, ont persisté noblement dans leur œuvre de propagande à l’intérieur de l’empire, ont ressenti, dans les premiers temps, les effets des promesses faites à M. de Lagrené. En 1846, MM. Huc et Gabet, missionnaires lazaristes, furent arrêtés dans la capitale du Thibet. Si l’on s’en était tenu aux anciens usages, ils eussent été jugés, condamnés et peut-être martyrisés sur place. Le dénoûment fut tout autre. M. Huc a pris soin de raconter comment du fond du Thibet il fut, ainsi que M. Gabet, ramené à Canton et remis entre les mains d’un consul. D’après son récit, plein d’intérêt et de