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fossiles de grands mammifères, on rencontrera, si on les étudie avec persistance, de ces mêmes ébauches d’une industrie primitive. »

Les assertions de M. Boucher de Perthes, qui contrariaient une opinion reçue, excitèrent, comme cela était naturel et juste, beaucoup de défiance. Pourtant il finit peu à peu par gagner à lui quelques savans. Je citerai entre autres le docteur Rigollot, mort tout récemment membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. M. le docteur Rigollot était de ceux qui n’ajoutaient aucune foi aux idées de M. Boucher de Perthes, et qui les avaient combattues lors de leur première apparition. Pourtant, lorsqu’on vint lui dire qu’à Saint-Acheul, près Amiens, dans un terrain qui renfermait des ossemens et des dents d’éléphans fossiles, on trouvait aussi des haches ou instrumens en silex ; quand il eut reconnu et fait reconnaître la nature géologique du terrain ; quand il eut vu lui-même les silex en question dans leurs gisemens, il changea sans hésiter d’opinion, et passa du côté de M. Boucher de Perthes. Tous ces silex, décrits par M. Rigollot, sont travaillés de la même manière, c’est-à-dire qu’avec une adresse qui souvent étonne, on est parvenu, en en détachant des éclats, non-seulement à les dégrossir, mais à leur donner la forme la plus convenable aux usages pour lesquels ils étaient destinés, armes ou outils. En majeure partie, ils se ressemblent par leur forme générale, qui est le plus ordinairement un ovoïde aplati, dont la partie supérieure ou le gros bout qui est mousse est resté dans son état primitif, et dont les bords et la pointe sont aussi tranchans que le permet une industrie qui n’avait jamais songé à les polir. D’autres ressemblent à un poignard, d’autres encore ont la forme d’une pyramide triangulaire, et les arêtes sont creusées fort irrégulièrement par les éclats du silex. La grandeur moyenne de ces pierres est de 10 à 12 centimètres dans leur plus grand diamètre ; il y en a d’autres où cette dimension n’est que de 8 centimètres, et quelques-unes où elle a 24 centimètres. « L’emplacement, dit M. Rigollot, où s’exploitent les cailloux à Saint-Acheul, est de médiocre étendue ; ce qui doit exciter la surprise, c’est la grande quantité de silex taillés qui s’y découvrent journellement ; vous ne pouvez aller sur le terrain sans que les ouvriers vous en présentent qu’ils viennent souvent de ramasser à l’instant, au milieu des cailloux qu’ils jettent sur la claie pour en séparer le sable et le gravier. Depuis le mois d’août qu’ils les recueillent jusqu’au mois de décembre où j’écris ces paroles, on en a trouvé plus de quatre cents, et pour ma part, depuis que j’en recherche, on m’en a apporté plus de cent cinquante. Ce nombre doit faire présumer qu’ils proviennent d’une localité où les hommes qui vivaient alors s’étaient réunis et avaient formé une espèce d’établissement. »