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ÉTUDES D’HISTOIRE PRIMITIVE.

ont imprimées, et que les paléontologistes ont suivies comme le chasseur suit la piste du gibier. Elles s’appliqueront aussi sans difficulté aux restes, s’il en est, de l’industrie humaine avant l’époque assignée d’ordinaire aux commencemens de l’humanité. Des outils, des instrumens, en un mot tout ce qui portera un vestige de la main de l’homme sera suffisant pour attester sa présence. Les animaux ne savent pas se créer, pour améliorer leur condition, des supplémens à leurs membres ; ils ne se servent que de leurs dents, de leur bec, de leurs pattes et de leur queue, tandis que l’homme le plus sauvage qu’on ait trouvé a immanquablement quelque ustensile. Ces ustensiles parleraient clairement. S’il advenait qu’une mutation du genre de celles dont il y a eu déjà beaucoup sur notre globe couvrît d’un terrain nouveau celui qui nous porte et en fît une couche géologique, les hommes de cette palingénésie, en poursuivant leurs travaux, mettraient à nu les débris de nos villes, de nos chaussées, de nos canaux, de nos arts : ils ne douteraient pas un instant de l’existence d’un monde enseveli. Rien de pareil ne se découvre sans doute, mais rien de pareil non plus n’est nécessaire, et il suffit de reliques bien moindres pour attester que des peuplades, non pas des nations, ont occupé le sol avant la dernière révolution du globe.

C’est M. Boucher de Perthes qui le premier a dirigé les recherches de ce côté et tiré les conclusions. Il fut frappé par la vue de quelques cailloux qui lui parurent porter l’empreinte d’un travail humain : il les recueillit ; plus il en chercha, plus il en trouva. Le nombre de ces objets, à mesure qu’il croissait, écarta les hasards de formes et de lieux. M. Boucher en étudia les gisemens, et demeura convaincu à la fois et que ces silex avaient été taillés par des hommes, et qu’ils se rencontraient dans des terrains véritablement anciens. Je ne puis mieux faire que de transcrire ce que je trouve en tête de son livre[1] : « M. Boucher de Perthes n’a négligé ni soins ni travaux pour obtenir la preuve qu’il cherchait ; ses explorations, suivies sur une grande échelle, ont duré dix ans. Le nombre de bancs diluviens qu’il a fait ouvrir dans les départemens de la Somme, de la Seine et de la Seine-Inférieure est considérable. D’un autre côté, les travaux des ponts et chaussées, ceux du génie militaire, les études du génie civil pour les voies de fer ont facilité ses investigations. Aussi le résultat a-t-il été complet. S’il n’a pas constaté, dans les gisemens qu’il a analysés, des ossemens humains, il a rencontré l’équivalent, et parmi des débris d’éléphans et de mastodontes, au milieu de ces fossiles, il a découvert des traces humaines, des armes, des ustensiles, le tout en pierre, non pas sur un seul point, mais sur beaucoup ; et l’on peut presque affirmer que, dans tous les terrains où existent des

  1. Antiquités celtiques et autédiluviennes, publié en 1849.