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Il faut le dire cependant, parmi ces pièces imprimées et non représentées, il en est beaucoup qui n’ont pas encouru la même disgrâce. Nombre de poètes composent des ouvrages dramatiques sans se soucier du théâtre.

Pour quelques-uns, ce ne sont que des poèmes dialogues, c’est-à-dire des pièces destinées à la lecture plutôt qu’à la représentation; pour ceux-là, ce sont bien des drames, mais des drames consacrés à un théâtre qui n’existe pas encore, et promis aux générations de l’avenir. Il en est d’autres enfin qui font imprimer leurs œuvres comme pour les proposer publiquement aux directeurs de théâtre. Je citerai, dans ce dernier groupe, deux productions récentes : le Nemrod de M. Gottfried Kinkel, et surtout la Brunhilde de M. Emmanuel Geibel, belle et poétique étude d’après les Niebelungen. L’examen de cette littérature dramatique produite en dehors du théâtre serait l’objet d’un travail à part; je me bornerai à faire une réflexion à ce sujet : soit que des écrivains, dédaigneux du présent, en appellent à l’avenir, soit que des poètes composent des pièces de théâtre sans se préoccuper du théâtre, soit enfin qu’ils impriment leurs œuvres d’avance, afin de les proposer aux directeurs sous le contrôle de l’opinion publique, n’y a-t-il pas là une triple protestation contre la direction littéraire des principales scènes de l’Allemagne? Les pièces que l’on joue le plus souvent à Berlin et à Vienne comme à Dresde et à Munich, ce sont les misérables rapsodies de Mme Birch-Pfeiffer, contrefaçons affaiblies des plus faibles œuvres de Kotzebue; et quand Mme Birch-Pfeiffer ne remplit pas la scène, quand elle veut bien faire trêve un mois ou deux à cette production infatigable, que voit-on sur l’affiche? De tristes imitations de notre théâtre, imitations faites le plus souvent sans choix, sans discernement, et qui ne servent pas plus à instruire l’Allemagne qu’à honorer la France. On comprend que les poètes allemands soient parfois bien découragés, lorsque les intendans des théâtres royaux s’obstinent à leur proposer de pareils modèles. Ces intendans ont beau être des esprits cultivés, quelques-uns même des écrivains de mérite, la partie commerciale de leur mission leur fait bien vite oublier le rôle littéraire qu’ils seraient dignes de remplir. Ils ont besoin de succès, de là leur timidité vis-à-vis de la foule. Certes je m’associe à l’ardeur de M. Robert Prutz, lorsque, dans son Histoire du Théâtre allemand, il s’écrie, après Louis Boerne et Lessing : « Ce ne sont ni les directeurs, ni les acteurs, et encore moins les poètes, à qui il faut imputer la décadence du théâtre allemand; l’Allemagne entière doit en répondre. Que l’Allemagne redevienne une nation, qu’elle soit une, et forte, et prête à jouer son rôle dans les grandes affaires du monde; elle aura bientôt un théâtre qui exprimera la conscience de